samedi 30 novembre 2019

L' exposition Mélik en ses métamorphoses.



      Arnaud de Villeneuve, directeur du château-musée de Cabriès, a eu l'excellente idée de présenter un ensemble d’œuvres d'Edgar Mélik dans les cinq salles et dans l'atelier. L'exposition est organisée de manière à suivre l'évolution de la peinture de Mélik.

La première salle,  à droite en entrant, présente deux effigies bouddhistes (un Bouddha et un Lama tibétain à la coiffe blanche), Le paysage du Piton sous la Lune à Cabriès, avec au premier plan, un énigmatique personnage au chapeau.  Les tons ocres dominent une peinture marquée par l'intériorité et le mystère.



La seconde salle du rez-de-chaussée présente des toiles qui font une large place aux couleurs chaudes, et deux grandes portes couvertes de peintures de Mélik. Le tableau ci-dessous est typique du thème des Lavandières qui a fasciné Mélik à partir de son arrivée à Marseille. Sous le signe d'un double exotisme, géographique pour un jeune Parisien qui découvre ce travail des femmes au lavoir, et dans ce cas, un certain japonisme du visage. Ici trois femmes accroupies pour leur travail sur des tissus blancs (à remarquer la figure minuscule au fond). Mélik joue avec la réduction de sa palette (blanc, bleu, rouge).


Avant de monter le grand escalier monumental avec sa rampe forgée du XVIII° siècle vous découvrirez quatre dessins réalisés par Madeleine Dinès dont l'oeuvre a été exposée tout cet été au château-musée. Amie de Mélik. Elle est venue plusieurs étés peindre en sa compagnie, à partir de 1948. Ces dessins d'intérieur nous restituent l'univers "spartiate" des pièces habitées par Mélik, avec la présence amicale des animaux (ici, un jeune chat sur un fauteuil). Elle a aussi réalisé un très beau portrait au crayon du maître des lieux. L'association se félicite de la collaboration entre l'association Madeleine Dinès et la Commune de Cabriès qui a abouti au don de ses dessins qui ont une double valeur (celle d'une amitié entre deux artistes, celle de la mémoire des lieux).

Madeleine Dinès, La grande cheminée, Encre sur papier, 36 x 44 cm, don au musée Edgar Mélik

    A l'étage, la scénographie du hall permet d'admirer à droite quatre dessins rehaussés de couleurs. Témoignages anciens du travail de Mélik à son arrivée à Marseille en 1932, celui-ci est particulièrement sensible et émouvant. Une jeune femme assise, avec son simple tricot rouge, esquisse un léger sourire. A coté, un homme s'applique à un geste technique (un panier en vannerie ?)

Mélik observe, après le dur labeur des lavandières, les scènes modestes du travail des rues. Certes, il n'aura pas été un peintre prolétarien comme certaines artistes marseillais à la même époque de l'avant-guerre (comme le furent Antoine Serra, François Diana ou Louis Toncini), mais il a indéniablement posé un regard plein d'humanité sur cette vie populaire qu'il découvrait dans la cité phocéenne.


Dans ce dessin, Mélik fait ressortir la forte présence d'une femme du peuple qui se détache sur un ciel marbré de taches bleues et sa ligne d'horizon. Il joue avec la superposition des couches colorées pour donner une vibration à ce corps anonyme.


Enfin, une jeune fille au visage sculpté et tellement expressif, achève ce cycle d'humanité.  Sa tristesse fait écho à ce dessin hachuré qui morcelle un corps tout en longueur. Dessin sans âge de Mélik sur la féminité, la jeunesse et la fragilité saisies dans une ruelle de Marseille vers 1934.



En face de ce mur aux quatre dessins vous trouverez deux oeuvres tardives de Mélik, dont un visage de jeune femme. A vingt ans de distance Mélik rejoue la réduction de sa palette (bleu, rouge et blanc). Un immense visage, tendu à l’extrémité d'un cou effilé, dont les yeux sont clos. On devine leur bleu grâce à un simple trait, puis de grandes paupières roses et l'arc rouge des sourcils. Que peut bien exprimer cette pose insolite ? Elle est penchée vers un autre visage en réduction (profil et cheveux rouges) qui est posé sur une masse arrondie imbriquée sous la belle ligne du menton. Présence réelle ou imaginaire d'un baiser vers l'être absent ? Pure poésie de l'image !


Dans la grande salle de droite, on retrouve des toiles colorées, notamment cette femme aux amples mèches rouges. Elle porte une grande serviette rouge nouée à sa taille. Elle est sur un rivage de sable blanc avec au loin  des îlots dispersés dans le bleu de la mer. Les gestes de ses bras suggèrent qu'elle s'essuie après son bain.
On devine un témoin que Mélik a décidé de supprimer sans l'effacer (à gauche, une tête d'homme émerge du sable).  Un cas de repentir chez Mélik qui pouvait revenir plusieurs fois sur ses toiles, parfois sur des années. Une sorte de palimpseste où le sujet devient fantomatique sans disparaître.


Un grand tableau récemment encadré  a été identifié par Jean-Marc Pontier (auteur d'une biographie de Mélik de 70 pages à consulter au musée). Il s'agit d'une libre évocation visuelle du poème de Rimbaud, "Le bateau ivre". A côté du tableau vous trouverez le texte et vous n'aurez aucun mal à retrouver les citations visuelles de Mélik dans cette toile qui retrouve ainsi une cohérence littéraire cachée sous son chaos pictural.


La dernière salle est la plus originale parce qu'elle concentre pour la première fois quelques exemples de la recherche de Mélik sur le Nu. Pratique très forte dans les écoles d'art en France, Mélik travaille ce genre à Paris dès 1928. Raymond Fraggi racontait qu'ils étaient plusieurs jeunes peintres à Marseille à louer avec Mélik un modèle pour leur séance de travail. Mélik était le seul à regarder le modèle puis il retournait rapidement son chevalet pour avoir le modèle dans son dos. Il voulait peindre le retour imaginaire de la forme et ne plus avoir à faire contrôler le geste de la main par le regard. C'en était fini de la "peinture rétinienne" (Marcel Duchamp). Mélik libérait l'image, et ce qu'on a pris pour des maladresses d'artistes est l'expression d'un jeu créatif proche de l'art primitif et de l'art des enfants. Depuis la Renaissance le peintre devait soumettre la main au savoir (de type scientifique, si possible) et au contrôle des formes naturelles (réalisme). Avec Miro, Klee et Chagall une autre peinture s'invente. Il faut voir Mélik dans cette perspective. Ne disait-il pas que Léonard de Vinci dessinait bien mieux que lui, mais que cette peinture était trop subordonnée à l'art savant du dessin (la peinture est "cosa mentale"). Or, Mélik affirme, contre la tradition académique, que le dessin et la peinture sont des arts distincts.
 Le plus grand dessin est un Nu allongé, la tête appuyée sur un bras replié. Dessin tardif au trait , et l'on sait que Mélik a pratiqué ce genre jusqu'à la fin de sa vie.

La Femme est le sujet de son imaginaire le plus constant comme le souligne une de ses phrases reproduite dans la salle :  "Doué de l'arme puissante un Dieu tire sur la vie - né de grandes descendances. L'air fond et toutes choses sont une femme - et l'air des champs regorge d'herbes fécondes." Edgar Mélik


Le plus ancien dessin dans la salle est peut-être ce nu dressé avec ses gestes primitifs selon le canon des Nus archaïques de Braque et Matisse... sans doute réalisé dans son atelier parisien, rue de Vaugirard, qu'il quittera en 1932 pour venir à Marseille.

Deux dessins au crayon sont des esquisses à l'antique, une femme de dos, une main posée sur la fesse, l'autre bras passant derrière le cou; l'autre femme est vue de profil avec un bras replié sur ses seins.
Mélik ne cessera pas de peindre le Nu selon des style très différents et des poses expressives.


Enfin, une étude de formes géométrisées de quatre femmes avec leurs propres mouvements de bras et de jambes traduit la réflexion de Mélik sur la structure du corps cubiste, ou futuriste ou encore duchampienne (Nu descendant un escalier, 1912).  Tous ces courants d'avant-garde Mélik en parle dans ses écrits de manière épisodique parce qu'il les a intégrés dans sa formation. Mélik est aussi un héritier qui pratique ce qu'il y a de plus novateur dans la génération précédent la sienne.



             Ainsi, le musée Edgar Mélik et son directeur nous offrent une exposition très variée par les sujets, les styles et les supports. Venez découvrir ou revoir des œuvres extrêmement sensibles, notamment autour du nu et des scènes modestes des rues de Marseille.

                                    Olivier ARNAUD, secrétaire de l'association des Amis du musée Edgar Mélik.






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