samedi 27 octobre 2018

Les moyens poétiques dans la peinture de Mélik.



 La peinture de Mélik n'est pas spécialement narrative, encore moins copie de la réalité. Elle est pure création à partir d'un jeu de couleurs et de formes organisées sur la surface. L'image évoque poétiquement une réalité en soi, Mélik parlant de chaque toile comme d'un "monolithe" indépendant de la perception extérieure, mais pas de l'émotion, qui est à ses yeux, le sens humain de la peinture.  Qu'en est-il pour ce tableau? Il est d'abord saisi comme une surface bleue où des formes colorées se mettent à flotter librement. Le regard isole des espaces.

Edgar Mélik, Scène de village, HSP, 65 x 50 cm (vente Maison Leclère, 27 octobre 2018)

Une forme blanche - libérée de toute contrainte (comme chez le meilleur Miro) -  se détache sur le ciel bleu, tel un nuage. A son bord supérieur virevoltent des signes graphiques.


En dessous un groupe se détache nettement sous ce voile poétique, la silhouette d'une femme en robe blanche, à la taille étroite. Son front paraît orné d'un petit chapeau. Elle est en mouvement; son bras droit, étendu contre son corps, tient un vêtement. Elle est en conversation avec un personnage dont les bras tiennent contre sa poitrine un objet (un livre ?). Enfin, un enfant se tient face à nous, avec ses petites jambes cernées de bleu.


Le dernier groupe de trois personnages, à droite du tableau, est beaucoup plus coloré. Ils sont vus de profil, deux sont en conversation. Leurs têtes sont des miniatures de signes colorés et concrets. Remarquez le jeu expressif et gratuit de leurs jambes. Chacun a son attitude corporelle. Le ruban vert d'une écharpe se déroule du cou au sol et se joue des jambes.Cette frise colorée a quelque chose de médiéval.

Le plus étrange est l'impression que ce groupe de femmes (grand manteau ou jupes courtes ) se détache d'un édifice où on peut identifier des éléments d'architecture. Un fronton triangulaire, le versant d'une toiture qui a capté le bleu du ciel, et une frise de génoises. Il s'agit d'une petite église.

Au premier plan de l'édifice, la frondaison d'un arbre. Les petites taches du pinceau sont toujours visibles, orientées dans cet espace imaginaire.

       Si on restitue son unité à l'image tous ces éléments font récit purement "pictural". Au premier plan une mariée accompagnée de son père (ou du prêtre venu à sa rencontre, souvenons-nous d'un livre -liturgique...). Il y a un enfant  - d'honneur - à ses côtés. L'édifice où tout ce joyeux monde va rentrer rappelle drôlement la petite église médiévale de Cabriès, avec son arbre sur le côté.
Le symbole le plus poétique est ce voile blanc qui flotte au-dessus de la mariées, avec ses petits esprits qui dansent sans être vus par personne. Un dais cotonneux qui rend solennel et bienheureux ce moment de vie. Qui était cette jeune femme que Mélik connaissait ?

Un autre tableau confirme le symbolisme poétique de Mélik quand il évoque ce village de Cabriès où il vécut de 1934 à sa mort en 1976.

Edgar Mélik, L'institutrice de Cabriès et ses élèves devant l'école, HST, 92 x 72 cm, collection particulière
Le volume de l'école avec son fronton triangulaire est traité comme une surface "tachiste" où dominent le blanc et le bleu. La procession des enfants, à la queue leu leu derrière leur maîtresse (sauf le onzième qui la précède et lui parle) est évoquée avec le même moyen pictural, des bandes où vibrent des traces de couleur, jusqu'à ces simples visages couronnés de taches rouges ou oranges pour autant de juvéniles chevelures. La vision onirique transforme le mur en flot d'enfants, autant que la frise des enfants est un pan de mur devenu vivant.


Enfin, la réalité poétique de cette scène nocturne est redoublée par un couple enlacé qui flotte dans le ciel à la lumière d'un croissant de lune (réminiscence de Chagall?).


L'invention de ses miniatures colorées et expressives est un invariant chez Mélik. Un des exemples les plus anciens (décennie 1940) est une scène de rue assez insolite. Sur une surface minuscule Mélik a multiplié les personnages et les couleurs vives.

Edgar Mélik, Scène de rue, HSB, 31 x 26 cm, collection particulière
Au centre de l'image, un homme avec une petite casquette jaune se tient au centre d'une fenêtre aux persiennes ouvertes sur la rue. On voit la profondeur de la pièce grâce à un bandeau bleu intense et un carré noir. Tout au fond, à droite, une petite silhouette.
Il regarde une femme dans la rue accompagnée de deux enfants. L'un est blotti contre elle jusqu'à se confondre avec son image. Une petite fille à la chevelure (au ruban?) rouge vif a deux points noirs pour ses yeux (allusion à Picasso?) . Une grande surface jaune coupe l'homme en deux (fenêtre ou porte donnant sur la rue ?). Ce pan de couleur jaune bouscule l'ordre des plans de l'image. S'agit-il d'un objet qui identifie le métier de cet homme (un artisan) ?
On pense à cette phrase d'André Breton qui est devenue le symbole de l'automatisme des images verbales et visuelles : "Il y a un homme coupé en deux par la fenêtre." (Manifeste du surréalisme, 1924).
Breton précise l'état de conscience très particulier où cette phrase s'est formée seule dans son esprit : "Un soir donc, avant de m’endormir, je perçus, nettement articulée au point qu’il était impossible d’y changer un mot, mais distraite cependant du bruit de toute voix, une assez bizarre phrase qui me parvenait sans porter trace des événements auxquels, de l’aveu de ma conscience, je me trouvais mêlé à cet instant-là, phrase qui me parut insistante, phrase oserai-je dire qui cognait à la vitre. J’en pris rapidement notion et me disposais à passer outre quand son caractère organique me retint."

Ces images qui se forment librement dans ces moments de demi-conscience (états hypnagogiques) ne sont pas sans rapport avec l'invention des signes chez Mélik. La scène perd son caractère narratif car elle est absorbée dans les moyens plastiques où dominent les couleurs et les formes libres.


             Si on veut bien regarder la peinture de Mélik sans la référer à un modèle extérieur (récusé par André Breton) elle apparait comme un immense chiffrage poétique du réel - visée surréaliste s'il en est - puisqu'il a su inventer une scénographie et une sténographie au service de sa poésie visuelle.

                                                                                      Olivier ARNAUD