Quelque temps avant 18 h, le
philosophe François Jullien a
parcouru toute l'exposition, fixant chaque tableau avec attention. Fr. de Asis
le guidait de ses commentaires, expliquant comment, venu du cubisme (E. Mélik
et Fr de Asis furent les élèves du cubiste A. Lhote), il a choisi de peindre
sur le motif, de se consacrer à trois ou
quatre motifs qu'inépuisablement il explore, comment il a pu dialoguer avec les
poètes Y. Bonnefoy et Ph. Jaccottet. Fr. Jullien a pris soin de regarder une seconde fois les œuvres de Fr. de Asis, en
ajoutant qu'il n'avait aucune difficulté à saisir les raisons de cette
peinture. Il faut savoir que Fr. Jullien, sinologue et helléniste, philosophe
français le plus traduit de nos jours, est l'auteur de Vivre de paysage,
L'impensé de la Raison (2014) où il montre que l'écart non résorbable entre
la peinture de paysage européenne et la peinture de paysage chinoise est
pourtant le meilleur opérateur pour concevoir un dialogue entre ces
civilisations et un accès à un universel
qui serait conjoint sans similitudes ni différences, mais allant l'un vers l'autre
par leurs propres chemins.
L'espace des toiles de François de Asis (Aix-en-Provence, source Pierre Vallauri, enquetedimages, 2012) |
C'est,
devant une assistance nombreuse, qu'a commencé la présentation par Fr. de Asis
de ses Carnets de voyage et de ses Livres d'artiste. Tout
s'organise autour des années 90, le peintre éprouvant le désir de rompre avec
sa solitude. L'anecdote la plus emblématique de cette activité artistique fut
sa rencontre avec Y. Bonnefoy (poète
récemment décédé, professeur au Collège de France). Lorsqu'Y. Bonnefoy
découvrit le premier Carnet de voyage, Le Grand Louvre et la salle
Campana, il écrivit au peintre qu'il souhaitait faire un Livre d'artiste
avec lui. Un projet d'images choisies dans une série de peintures du Barrage
Zola fut proposé par le peintre pour accompagner des passages de Douve qu'il
aimait particulièrement. Sa réponse fut immédiate : « Il y a trop de temps que j'ai écrit ce
livre, je vous envoie dans peu de temps des poèmes nouveaux ». Six
mois plus tard, le peintre recevait, par courrier, dix huit poèmes réunis sous
le titre La pluie d'été à « illustrer ». La langue française
manque, à cet endroit, de terme adéquat : on n'illustre pas un poème, on
l'accompagne, on le transpose, on le déploie dans une autre dimension, on
l'habite. Le galeriste, Vincent Bercker, dans la discussion, lui demande, d'ailleurs,
si, pour lui, le Larousse est un dictionnaire illustré. Il l'est, répond Fr. de
Asis, mais la photographie d'une renoncule qui illustre l'article Renoncule n'a
ni la fragilité ni le velouté du jaune d'une renoncule. Et pourtant, affirme
Fr. de Asis, « j'aime le dictionnaire Larousse, j'ai été ému par une représentation
d'une estampe japonaise, je le consulte souvent » (et l'on se souviendra
combien l'éditeur d'Orizons, D. Cohen, nous avait dit en juillet que, sans ce
dictionnaire, seul livre en la maison de ses parents, il n'aurait pas découvert
la littérature et l'écriture
littéraire).
La place San Marco vue de la Giudecca (30 années séparent ces deux tableaux, source P.Vallauri, enquetedimages, 2012) |
Mais
revenons aux étapes de la conférence. Il faut partir de cette discussion entre
Goethe et Schiller sur le passage d'une forme
empirique en une forme artistique.
Dire la nature de ce passage se fait par des carnets de voyage et des livres
d'artiste. Chaque carnet de voyage, chaque livre d'artiste, a été l'occasion de rencontres inespérées,
d'accords se complétant, de quoi accélérer, confirmer et amplifier le passage :
l'éditeur (en particulier B. Roy des éditions Fata Morgana), l'imprimeur (les
époux Brétéché de l'imprimerie Roubaud), le poète (outre Y. Bonnefoy, il y eut aussi Ph. Jaccottet, poète
entré dans la Pléiade de son vivant, Y. Bergeret, M. Gravil...), apportaient
leur part de création au peintre. Leur
participation est la part de poésie qu'ils ont offerte. Car il s'agit de
«poésie », nous dit le peintre : la poésie est un art d'évoquer et de
suggérer, elle est étymologiquement création. Le poète apporte son texte ;
l'éditeur assemble texte et images, choisit un support papier, réalise la
composition typographique ; l'imprimeur apporte tous les soins pour que la
fidélité de la démarche commune soit assurée ; et le peintre choisit dans
les motifs changeants de ses paysages ce qui transmet au mieux le passage vers la
forme artistique espérée. Expérience faite d'écoute et d'entente,
réussissant à devenir réelle poésie car faite de justesse : plus globalement, elle trouve à exprimer
selon Ph. Jaccottet « une manière de parler du monde qui ne
l'explique pas car ce serait le figer et l'anéantir, mais qui le montre tout
nourri du refus de répondre, vivant parce qu'impénétrable, merveilleux parce
que terrible ». Formule pour
laquelle Fr. de Asis dit toute son adhésion.
Carnet
de voyage et Livre d'artiste sont des publications à faible
tirage, incluant une ou des œuvres originales. L'appellation Carnet
de voyage est le titre d'une collection éditée par le peintre (A
l'atelier), alors que le Livre d'artiste a retenu l'attention d'un
éditeur autre : La Sétérée, Fata Morgana, Imprimerie Henry des abbayes (35300
Fougères). Le Carnet de voyage est un Livre d'artiste.
Imprimerie Henry des abbayes (35300 Fougères) |
Le
peintre nous présente quatre livres d'artiste qui ont jalonné sa carrière :
Le Grand Louvre et la salle
Campana - Carnet de voyage I (A l'Atelier, 1994) : l'enjeu est le problème de
la transformation des formes empiriques en formes artistiques.
La Pluie d'été, poèmes d'
Y. Bonnefoy (La Sétérée, 1999 ),
L'Affrontement (G. Schaufelberger et G. Vincent, extrait du Mahâbhârata
- Fata Morgana, 2011),
Paysage – Carnet de voyage XI,
texte de Ph. Jaccottet accompagné d'une suite de 30 dessins -A l'Atelier, 2016).
Fr.
de Asis répond à l'assistance, et
rappelle comment ces projets le conduisirent (avec critique, éditeur, écrivain,
imprimeur…) à des assentiments et des
partages, titre d'une exposition à Tours
à laquelle il fut convié par Y.
Bonnefoy. Et de rappeler la formule du
poète : « J'étais chez
moi dans le chez eux de mes amis peintres ».
L'artiste,
pour conclure, souligne l'intérêt qu'a pour lui le Livre d'artiste, ce fut comme
l'équivalent d'un parcours initiatique : on a besoin d'admirer les autres
et de poésie pour faire une œuvre d'art, conclut-il aussi.
Horaires pour l'exposition de François de Asis, Château-musée Edgar Mélik, Cabriès, 13480, jusqu'au Dimanche 30 septembre 2018
JEUDI, VENDREDI, SAMEDI, DIMANCHE, de 10h à 12h, et de 14h à 18h.
Dernière rencontre, Samedi 22 septembre, à 18h, au musée Edgar Mélik, Cabriès (parking en bas du village, parc Mélik) :
Réflexions
autour de l’exposition "François de Asis , Chemins".
Questions - Réponses
entre Guy Vincent, écrivain et
traducteur,
Olivier Arnaud,
secrétaire
de l’association des amis du musée Edgar
Mélik
et le peintre François de
Asis.
Suivi d’un débat avec le public et les amis
de l’artiste.
Cette rencontre se terminera par une
visite-clôture de l’exposition en compagnie des organisateurs et
responsables de tous les événements.
Vous êtes
également conviés à une visite guidée de l'exposition estivale au musée les
samedi 15 et dimanche 16 septembre à 15h dans le cadre du week-end du
patrimoine.
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