jeudi 13 septembre 2018

Soirée-conférence autour du livre d'artiste de François de Asis (samedi 22 septembre 2018), par Guy VINCENT


          Quelque temps avant 18 h, le philosophe François Jullien a parcouru toute l'exposition, fixant chaque tableau avec attention. Fr. de Asis le guidait de ses commentaires, expliquant comment, venu du cubisme (E. Mélik et Fr de Asis furent les élèves du cubiste A. Lhote), il a choisi de peindre sur le motif,  de se consacrer à trois ou quatre motifs qu'inépuisablement il explore, comment il a pu dialoguer avec les poètes Y. Bonnefoy et Ph. Jaccottet. Fr. Jullien a pris soin de regarder une  seconde fois les œuvres de Fr. de Asis, en ajoutant qu'il n'avait aucune difficulté à saisir les raisons de cette peinture. Il faut savoir que Fr. Jullien, sinologue et helléniste, philosophe français le plus traduit de nos jours, est l'auteur de Vivre de paysage, L'impensé de la Raison (2014)  où il montre que l'écart non résorbable entre la peinture de paysage européenne et la peinture de paysage chinoise est pourtant le meilleur opérateur pour concevoir un dialogue entre ces civilisations et un accès à  un universel qui serait conjoint sans similitudes ni différences, mais allant l'un vers l'autre par leurs propres chemins.
L'espace des toiles de François de Asis (Aix-en-Provence, source Pierre Vallauri, enquetedimages, 2012)
         
 C'est, devant une assistance nombreuse, qu'a commencé la présentation par Fr. de Asis de ses Carnets de voyage et de ses Livres d'artiste. Tout s'organise autour des années 90, le peintre éprouvant le désir de rompre avec sa solitude. L'anecdote la plus emblématique de cette activité artistique fut sa rencontre avec Y. Bonnefoy (poète récemment décédé, professeur au Collège de France). Lorsqu'Y. Bonnefoy découvrit le premier Carnet de voyage, Le Grand Louvre et la salle Campana, il écrivit au peintre qu'il souhaitait faire un Livre d'artiste avec lui. Un projet d'images choisies dans une série de peintures du Barrage Zola fut proposé par le peintre pour accompagner des passages de Douve qu'il aimait particulièrement. Sa réponse fut immédiate : « Il y a trop de temps que j'ai écrit ce livre, je vous envoie dans peu de temps des poèmes nouveaux ». Six mois plus tard, le peintre recevait, par courrier, dix huit poèmes réunis sous le titre La pluie d'été à « illustrer ». La langue française manque, à cet endroit, de terme adéquat : on n'illustre pas un poème, on l'accompagne, on le transpose, on le déploie dans une autre dimension, on l'habite. Le galeriste, Vincent Bercker,  dans la discussion, lui demande, d'ailleurs, si, pour lui, le Larousse est un dictionnaire illustré. Il l'est, répond Fr. de Asis, mais la photographie d'une renoncule qui illustre l'article Renoncule n'a ni la fragilité ni le velouté du jaune d'une renoncule. Et pourtant, affirme Fr. de Asis, « j'aime le dictionnaire Larousse, j'ai été ému par une représentation d'une estampe japonaise, je le consulte souvent » (et l'on se souviendra combien l'éditeur d'Orizons, D. Cohen, nous avait dit en juillet que, sans ce dictionnaire, seul livre en la maison de ses parents, il n'aurait pas découvert la littérature  et l'écriture littéraire).

La place San Marco vue de la Giudecca (30 années séparent ces deux tableaux, source P.Vallauri, enquetedimages, 2012)

            Mais revenons aux étapes de la conférence. Il faut partir de cette discussion entre Goethe et Schiller sur le passage d'une forme empirique en une forme artistique. Dire la nature de ce passage se fait par des carnets de voyage et des livres d'artiste. Chaque carnet de voyage, chaque livre d'artiste, a été  l'occasion de rencontres inespérées, d'accords se complétant, de quoi accélérer, confirmer et amplifier le passage : l'éditeur (en particulier B. Roy des éditions Fata Morgana), l'imprimeur (les époux Brétéché de l'imprimerie Roubaud), le poète (outre Y.  Bonnefoy, il y eut aussi Ph. Jaccottet, poète entré dans la Pléiade de son vivant, Y. Bergeret, M. Gravil...), apportaient leur part de création au  peintre. Leur participation est la part de poésie qu'ils ont offerte. Car il s'agit de «poésie », nous dit le peintre : la poésie est un art d'évoquer et de suggérer, elle est étymologiquement création. Le poète apporte son texte ; l'éditeur assemble texte et images, choisit un support papier, réalise la composition typographique ; l'imprimeur apporte tous les soins pour que la fidélité de la démarche commune soit assurée ; et le peintre choisit dans les motifs changeants de ses paysages ce qui transmet au mieux le passage vers la forme artistique espérée. Expérience faite d'écoute et d'entente, réussissant à devenir réelle poésie car faite de justesse :  plus globalement, elle trouve à exprimer selon Ph. Jaccottet « une manière de parler du monde qui ne l'explique pas car ce serait le figer et l'anéantir, mais qui le montre tout nourri du refus de répondre, vivant parce qu'impénétrable, merveilleux parce que terrible ».  Formule pour laquelle Fr. de Asis dit toute son adhésion.

           
            Carnet de voyage et Livre d'artiste sont des publications à faible tirage,  incluant  une ou des œuvres originales. L'appellation Carnet de voyage est le titre d'une collection éditée par le peintre (A l'atelier), alors que le Livre d'artiste a retenu l'attention d'un éditeur autre : La Sétérée, Fata Morgana, Imprimerie Henry des abbayes (35300 Fougères). Le Carnet de voyage est un Livre d'artiste.

Imprimerie Henry des abbayes (35300 Fougères)

            Le peintre nous présente quatre livres d'artiste qui ont jalonné sa carrière :
Le Grand Louvre et la salle Campana - Carnet de voyage I (A l'Atelier, 1994) : l'enjeu est le problème de la transformation des formes empiriques en formes artistiques.
La Pluie d'été, poèmes d' Y. Bonnefoy (La Sétérée, 1999 ),
L'Affrontement  (G. Schaufelberger et G. Vincent, extrait du Mahâbhârata - Fata Morgana, 2011),
Paysage – Carnet de voyage XI, texte de Ph. Jaccottet accompagné d'une suite de 30 dessins -A l'Atelier,  2016).

            Fr. de Asis  répond à l'assistance, et rappelle comment ces projets le conduisirent (avec critique, éditeur, écrivain, imprimeur…) à  des assentiments et des partages, titre d'une exposition à  Tours à laquelle il fut convié par  Y. Bonnefoy. Et de rappeler la formule du  poète : « J'étais chez moi dans le chez eux de mes amis peintres ».
            L'artiste, pour conclure, souligne l'intérêt qu'a pour lui le Livre d'artiste, ce fut comme l'équivalent d'un parcours initiatique : on a besoin d'admirer les autres et de poésie pour faire une œuvre d'art, conclut-il aussi.



Horaires pour l'exposition de François de Asis, Château-musée Edgar Mélik, Cabriès, 13480, jusqu'au Dimanche 30 septembre 2018

JEUDI, VENDREDI, SAMEDI, DIMANCHE, de 10h à 12h, et de 14h à 18h.

Dernière rencontre, Samedi 22 septembre, à 18h, au musée Edgar Mélik, Cabriès (parking en bas du village, parc Mélik) :

Réflexions autour de l’exposition "François de Asis , Chemins".
Questions - Réponses entre Guy Vincent, écrivain et traducteur, 
Olivier Arnaud, secrétaire de l’association des amis du musée Edgar Mélik 
et le peintre François de Asis.
Suivi d’un débat avec le public et les amis de l’artiste.
Cette rencontre se terminera par une visite-clôture de l’exposition en compagnie des organisateurs et responsables de tous les événements.

Vous êtes également conviés à une visite guidée de l'exposition estivale au musée les samedi 15 et dimanche 16 septembre à 15h dans le cadre du week-end du patrimoine.


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