jeudi 26 septembre 2019

Edgar Mélik, Insolite arabesque

 La création de Mélik est suffisamment variée pour emprunter des directions et des techniques différentes. Et, sans doute simultanément.  Certaines oeuvres sont chargées de matières et se limitent aux couleurs primaires quand d'autres valorisent des couleurs rares et un léger graphisme (le plein et le vide). Parfois un visage occupe toute la surface, ou alors c'est une scène énigmatique qui est évoquée comme dans le cas suivant. Deux personnages étranges se dirigent vers la droite, prêts à sortir du cadre. Leur visage vient de se tourner vers des détails à peine esquissés. Les couleurs pures animent la surface, avec des taches et des arabesques. Le rose étalé d'une grande robe, une tache bleue, une surface blanche, des torsades orangées, etc.

Edgar Mélik, Promenade, 71 x 51 cm, HSC, c.1955, collection particulière


Deux femmes marchent énergiquement, et Mélik s'amuse à les opposer plastiquement. A gauche, une robe baroque, rose avec ses reflets blancs. Des traits rapides, noirs ou bleus, indiquent les limites du tissu et ses formes amples. Mélik a ensuite apposé des touches de couleur rose, d'intensité variable.  Une épaule, un bras le long du corps, deux pieds nus sur le sol... Le corps est en mouvement dans son vêtement de "haute couture" picturale.

La robe n'est pas représentée mais  suggérée par un jeu savant et libre de lignes et de traces colorées.
L'énigme se concentre sur une tête purement rose dans son halo blanc. Le visage vu de dos se tourne vers la droite. Une silhouette qui recoupe le travail d'effacement et de torsion de la forme humaine chez Francis Bacon, à la même époque.


L'autre femme est en creux, les signes graphiques sont à l'opposé, trait pour trait. Le visage est visible car elle vient de faire volte-face. Sa chevelure évoque une "perruque" grand siècle.  Son buste est hachuré de grands lignes divergentes (jaune, vertes, orange).

Le jeu de ses jambes a dû être rapide et des reflets roses tourbillonnent sur son corps, comme par un mystérieux  transfert coloré.

Le pinceau a tracé ses lignes souples et rapides, espaces où Mélik applique des traces, plus salies que peintes (comme Michel Leiris l'écrivait pour les toiles de Joan Miro de 1930), de jaune, de rose et de blanc. Comme pour l'autre jeu de jambes, Mélik joue à remplir l'une de blanc et laisse l'autre vide.  Une pied graphique contraste avec une trace maladroite, et dans les deux cas, la ressemblance laisse la place au signe. La peinture se fait coulée pure de matière pigmentée.

Le décor de ce couple à l'allure d'opéra est fait d'arabesques abstraites et colorées qui amplifient la liberté plastique de leur représentation par le peintre.

La torsade complexe d'un trait orange dessine en relief un volume rempli de reflets gris. A son contact, une étrange flaque blanche couvre une forme qui se répète par un cerne externe. Un peu plus haut c'est une forme souple et aléatoire qui limite une zone verte. 

Personnages ou visions spectrales déambulent le long d'un paysage qui manifestement retient leur attention.On pense d'abord à une barrière avec son alignement de piquets, ou à un grand cactus rose !

Mais le sol devant a été retourné et forme de petits tertres. Chacune de ces croix est plantée devant une tombe. La promenade baroque longe un pauvre cimetière qui retient l'attention. Nous sommes à la campagne comme l'indique le paysage esquissé, et la surprise est totale.
Cet alignement funéraire Mélik l'a imaginé extrêmement baroque. Il s'est plu à varier les formes et les couleurs, à l'image du décor et des personnages. Au sol un grand rectangle blanc évoque une dalle de pierre au pied d'un petit monument funéraire à peine esquissé.

Juste à côté une tache verte, bien verticale, avec des reflets jaunes et blancs,  recouvre un petit oratoire dont une ligne violette trace à peine  la forme.  S'agit-il d'un petit buisson ou d'un lierre qui grimpe sur une vieille pierre ?





Les mêmes couleurs pures, les mêmes mouvements libres du pinceau passent des personnages aux croix plantées en terre.




Le fond du tableau est à peine esquissé, mais on devine la pente d'une colline, un arbre, et sur la droite une arcade qui pourrait bien être le portique du cimetière. Quelques taches blanches, des trainées de bleu suffisent à terminer le tableau sur un ciel qui laisse songeur, tout comme la scène et son "inquiétante étrangeté". 


Rapidité du trait, jouissance des couleurs pures, état de suggestion, désorientation du "regardeur", on imagine la jubilation de Mélik a créer une "image" où les gestes du peintre sont aussi libres et savants que la scène est baroque. Cas isolé? Oui, si on identifie le "style" de Mélik à des figures chargées de matière. Mais ici la facture est bien différente, le graphisme et la couleur sont les voies de l'expression.
D'autres "images" sur ce support carton de grande dimension (70 x 50 cm) sont à regrouper pour mieux étudier cette pratique picturale de Mélik.
Une extraordinaire scène qui fusionne deux grands nus, une montagne et des hachures. Chaos et composition de rigueur.
 Une scène d'opéra baroque avec deux corps nus de femmes qui esquissent des mouvements invraisemblables dans l'espace. Là, comme ailleurs, la signature participe de l'esprit de l'oeuvre. Ici le rose s'imposa ! L'arabesque descriptive que Joan Miro pratiquait autour de 1925 retrouve sa vitalité insouciante.
Le quatrième exemple sur ce support standard nous surprend encore. Un monstre cyclopéen porte une jeune fille dont la figure-masque se prolonge dans un superbe ruban vert. L'illusion des traits joue à confondre les jambes pour mieux nous plonger dans "l'inquiétante étrangeté" d'un rapt archaïque (voir "Le Regard du désir chez Edgar Mélik, le mythe de Galatée et Polyphème", sur ce blog).

Diversité des techniques, dissimulation de la scène à reconstituer, équilibre du trait et la tache, rapidité des gestes et des traces, autant de principes propres à l'esprit de la peinture de Mélik.

           Olivier ARNAUD (secrétaire de l'association des Amis du musée, Edgar Mélik, Cabriès)