lundi 10 octobre 2016

Mélik et le surréalisme, INDICES (suite)



Surréalisme IV : texte surréaliste (1950)

« Les recherches surréalistes présentent avec les recherches alchimiques une remarquable analogie de but : la pierre philosophale n’est rien d’autre que ce qui devrait permettre à l’imagination de l’homme de prendre sur toutes choses une revanche éclatante », André Breton, Second manifeste du surréalisme, 1929.


Affiche Exposition Mélik, Galerie Da Silva, 25 février/17 mars 1950

Mises en page typographique dans l'esprit surréaliste
              

 

















La contribution la plus probante de Mélik au surréalisme de sa jeunesse parisienne est le texte d’invitation à son exposition personnelle de 1950, galerie Da Silva, 67 rue saint Ferréol à Marseille. Ce texte jubilatoire est fidèle à tous les procédés de l’écriture surréaliste.
D’abord le titre « 30 peintures réalistes inobjectives » est un pied de nez à la logique terre-à-terre. La peinture doit-elle  être réaliste ou abstraite ? Mélik a toujours su inventer des formules énigmatiques pour faire réfléchir son lecteur et lui faire dépasser la vision trop naturelle de la réalité. Pour une exposition au château de Saint-Pons en 1969 il commence le texte d'invitation par cette phrase : « Dans ce laps de temps de quarante années de labeur, le passé et le présent se rejoignent. Le quel des deux rejoint l’autre ? ».
Par ses aphorismes il est le frère surréaliste de Marcel Duchamp : « D’ailleurs, ce sont toujours les autres qui meurent » (sur sa tombe) ou « Un robinet cesse de dégoutter s’il n’y a personne pour l’entendre » ( avec un mannequin sans tête… dans la vitrine de l’éditeur à New York d’Arcane 17 d’André Breton, en 1945).
L’appellation qui suit est en réalité une épellation des lettres du mot MAGIE. Ce mot ne désigne pas dans le surréalisme l’aspect simplement bizarre des choses, mais l’anagramme de l’IMAGE (imago, terme d’origine romaine qui désigne la représentation du défunt enfermée dans un coffret à ouvrir).
L'image poétique ou visuelle a une analogie forte avec la haute magie parce qu’elle révèle une dimension plus profonde de la réalité. C’est la conception précise d’André Breton tout au long de son œuvre. « N’en déplaise à quelques esprits qui ne savent jouir que de l’étale et du clair, en art ce contact avec l’ésotérisme n’a cessé et ne cessera de sitôt d’être gardé. Consciemment ou non, le processus de découverte artistique, s’il demeure étranger à l’ensemble de ses ambitions métaphysiques, n’en est pas moins inféodé à la forme et aux moyens de progression même de la haute magie. Tout le reste est indigence, est platitude insupportable, révoltante : panneaux-réclames et bouts-rimés », Arcane 17,1946. 
En 1950 Mélik a-t-il lu ce livre qui décrit la métamorphose du réel dans l’amour pour Elisa, la femme-fée ? Pendant son exil en Amérique Breton avait fait un voyage en Gaspésie, jusqu’à  l’île Bonaventure et son grand Rocher Percé. Arcane 17 est la 17° lame du tarot à la symbolique de la Femme qui verse deux vases pour créer deux fleuves, c’est  un hymne à la poésie et à son analogie avec la quête des alchimistes qui réunit les poètes (Victor Hugo, Baudelaire, Rimbaud, Lautréamont). En tout cas, Mélik est assez familier avec l’œuvre de Breton pour en parler en 1953 avec Hubert Juin puisque ce dernier évoque les lieux de haute inspiration poétique : « Le Rocher Percé, les coulées des étangs – de Courson à La Palme – le Ventoux aux sources à peine moins visibles qu’un envol d’abeilles … tout cela, pris au creuset de l’imagination humaine, enfante les seuls édits de la vie », Hubert Juin, Edgar Mélik ou la peinture à la pointe du temps, 1953, p. 36 (André Breton et Arcane 17, , Joë Bousquet dont les Cahiers du Sud avaient publié en 1949 quelques pages du conte poétique Le Roi du Sel, enfin Pétrarque et le Ventoux).

Mélik, L'inspiration du peintre (la Muse, La lanterne, les livres), collection particulière
    
Le fourneau alchimique? (Détail)
Magie et peinture/Magie et poésie, il s'agit du lien exploré par André Breton à la suite des alchimistes qui recherchaient à travers la transmutations des métaux une modification intérieure de l'homme. C’est en 1957 que Breton fait paraître son enquête sur la peinture alchimique, L’Art magique. Le contenu étrange de la peinture de Mélik indique qu'elle était pour lui également un moyen d'explorer le monde intérieur et de modifier l'homme. Il aimait citer Beethoven : "Toute création doit être moralement un progrès" (Abbé J. Rey, "Edgar Mélik, le peintre à la matière solaire", archives Marie-Claire Rey).
Si Mélik ouvre son poème surréaliste de 1950 par MAGIE, ce n'est donc pas un mot ordinaire mais une notion surdéterminée dans le surréalisme. Le texte est ensuite une véritable jubilation surréaliste. L’absurdité et la gratuité semblent dominer le texte qui n’est qu’une cascade convulsive d’associations de mots.
L’image surréaliste est très spéciale : « La plus parfaite est celle qui présente le degré d’arbitraire le plus élevé, je ne le cache pas », André Breton, Premier manifeste du surréalisme, 1924. Breton donne en exemple un de ses vers : « Sur le pont   la rosée à tête de chatte   se berçait » (tiré de son poème, « Au regard de la divinité »). Sous cet angle précis, c’est Lautréamont, que le jeune Mélik a lu avec enthousiasme, qui a reçu la palme surréaliste : « Beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection  d’une machine à coudre  et d’un parapluie », Les Chants de Maldoror. (ou encore « le poulpe au regard de soie »).
La couleur qualifie une chose sans rapport avec la couleur, comme « Servantes à l’humour mauve », procédé classique de Lautréamont, puis de Breton et Soupault (« Il y a des contes à écrire pour les grandes personnes, des contes encore presque bleus », Premier manifeste du surréalisme ou « Jamais poursuivi le mauve  lumière des maisons closes », Champs magnétiques, 1919).
« Guitare sans jambe » : le procédé absurde qui consiste à priver un objet des parties qui le constituent  (ou pas) remonte à Lichtenberg qui inventa « un couteau sans lame auquel il manque le manche ».  Dans Nadja (1928), à propos de l’étoile, André Breton écrit : « Elle est comme le cœur d’un fleur sans cœur ». Salvador Dali transposera ce procédé en peinture avec son tableau, Œuf sur le Plat sans Plat.
Parfois les précisions sont burlesques : « Carnage de critiques d’art, rue de La Boétie à chaque midi », car la précision de l’heure est loufoque, comme dans le vers qui commence bien : « Se pose le problème de la naissance sous forme d’une jolie équation en do », dans Les Champs magnétiques.
Mélik multiplie les images déstabilisantes et les métalogismes mais le sens est pourtant explicite. C’est une déclaration subversive en faveur de sa peinture imaginaire et  de son étrange architecture qui procède d’une magie savante. C’est une attaque contre le parisianisme et le gang des marchands parisiens – la rue La Boétie désigne la galerie de Paul Rosenberg (voir A. Sinclair, 21 rue La Boétie, 2012). Mélik exprime l’harmonie entre l’artiste et son œuvre dans une symbolique propre à ses tableaux (« Femme en marche contre le vent »). Il annonce l’échec de la peinture à succès qui cherche à plaire au public « éclairé » par les critiques d’art. 

Mélik, Dame nue au chapeau, 102 x 74 cm, HSB, collection particulière
Après cette cascade convulsive, le dénouement du poème surréaliste est un appel au calme intérieur et à la prière bouddhique.
Mélik, Lama tibétain, c.1941, 100x80 cm, collection du musée
Après cette enquête sur la présence d'indices du surréalisme chez Mélik (autoréférence, "surréaliste nietzschéen" en 1937; expression surréaliste "la grande Inconscience" en, 1969; la main moulée comme capteur de rêve; et poème surréaliste en 1950) on voit qu'il n'est pas question d'une adhésion officielle de la peinture de Mélik au surréalisme! L'influence et la permanence d'un "esprit surréaliste" dans la production de Mélik s'attestent dans une commune visée d'un monde intérieur de l'esprit en analogie avec la haute magie de la tradition alchimique.                             
 Olivier ARNAUD

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