Mélik a-t-il
été un artiste isolé après avoir quitté Paris en 1932 (où pourtant il avait eu une vie culturelle riche et variée) ?
ou a-t-il tissé un réseau de relations amicales et artistiques une fois à
Cabriès ? La décennie 1950 semble avoir été très bénéfique, et on devine sa
présence entre Marseille, Paris (où il fait des séjours longs et fréquents,
avec son atelier rue Daguerre) et Provence/Alpes maritimes. Les lieux de ses
expositions (Saint-Paul-de-Vence, Vence, Menton, Forcalquier, Bollène, etc.)
comme ses ami/es artistes dessinent un territoire imaginaire centré sur "ce
vieux château de Cabriès".
I.
PARIS : Adrienne Monnier, Madeleine
Follain, Consuelo de Saint-Exupéry, Mime Marceau
Adrienne Monnier (1892-1955)
Une mention
d'une ligne dans le répertoire des abonnés pour 1931 à la librairie "La
maison des amis des livres", rue de l'Odéon, Paris. Edgar Mélik s'est
abonné le 1er février 1931. A l'époque il résidait au 103 rue de Vaugirard dans
le 15e. Conservées à la bibliothèque J. Doucet les trois lettres d'Edgar Mélik
à Adrienne Monnier datent de la fin 1939/1940. Ils se connaissent depuis près
de 10 ans. Que sont devenues toutes les autres lettres?
" Mélik-Edgar, Compagnie divisionnaire de pionniers,
section 39
Chère Mademoiselle et Amie, Un mot de
l'Armée, au cours d'une garde, un mot qui me réchauffe les doigts et me permet
de correspondre avec vous en attendant un samedi après-midi au cours duquel je
puisse vous voir un moment et reposer aussi quelques-uns de vos livres. Tant
que la guerre dure il m'est peu facile de me rendre à Paris en semaine. J'en
suis tout près cependant et je m'y trouve et samedi et dimanche. Cela contribue
à me faire voir ces temps-ci sous un jour moins défavorable que bien des gens.
N'oublions pas que les temps présents sont sujets à des variations bien
inattendues. L'année quarante peut être belle, une année exceptionnelle quant
aux manifestations de l'esprit, une renaissance des grands sentiments : la
guerre ne saurait s'attaquer à tout, il est certainement des forces qui sont
au-dessus d'elle, qu'elle respectera. Il est possible de faire la guerre et de
rester au-dessus, nécessaire même à bien des gens soucieux de leur indépendance
totale quoiqu'il advienne. Me voisi dans l'abstraction quasi-totale, dans le
grand dessèchement conscient et organisé. Je n'en reviens pas! Car ce n'était
pas du tout ce que je voulais. Ce n'est donc certainement qu'un passage à
passer. Vaille le présent ce qu'il vaut, pourvu qu'il ait des nuits. Si vous
avez, chère Amie, le temps d'écrire, de m'écrire, de répondre à mes lettres et
me donner votre point de vue quant à cet extraordinaire temps présent vous me
ferait là grand plaisir, car, est-il besoin que je vous le dise, je trouve
bienfaisante la contagion de votre esprit propre. Je termine à la hâte avant de
faire un déplacement de deux kilomètres, le fusil sur l'épaule. Bien
amicalement, Mélikedgar, 15 décembre 1939."(Fonds A. Monnier, Bibliothèque littéraire
Jacques-Doucet, Paris)
Gisèle Freund (1908 - 2000), Adrienne Monnier devant sa librairie, Paris, 1937 |
Lettre d'Edgar Mélik à Adrienne Monnier, 15 décembre 1939 (Bibliothèque J. Doucet, Paris) |
A. Monnier au milieu des livres, 1932 |
Edgar Mélik, L'atelier idéal, HST, 78 x 98 cm, collection particulière |
Consuelo de Saint-Exupéry (1901-1979)
Dans quelles
circonstances et à quelle date Mélik
a-t-il rencontré Consuelo ? Dans une lettre à Madeleine Follain d'août
1949 il lui demande de ses nouvelles. C'est en 1951 qu'elle achète une bastide
du XVIII° siècle à Grasse. D'après Isa Mélik interrogée en 1990 par le peintre
Joseph Stamboulian Mélik voyait Consuelo à Paris début des années 1950 et sa
peinture était à ce moment là extrêmement colorée.
Consuelo de saint-Exupéry, Photo film, Canada 1942 |
Edgar Mélik, Le Petit Prince, collection particulière |
Madeleine Follain (1906-1996)
Photos Madeleine Follain, archives Famille Denis
Correspondance
de Mélik à Madeleine Follain déposée à l'IMEC (Fonds Jean Follain, 33 lettres
de 1949 à 1962)
"En 1957 elle ouvre rue Saint-Séverin un
restaurant qu'elle appelle, "Papille". Son mari, qui est devenu magistrat, est d'abord scandalisé
par ce qu'il estime être un déclassement, mais finit par être séduit par
l'ambiance de cet établissement mi-rustique, mi-bohème, qui draine non seulement
des écrivains et des intellectuels mais également une clientèle venue du
show-biz et de la télévision. Follain y invite ses amis poètes, tandis que
Madeleine organise de temps à autre des accrochages, mêlant ses toiles à celles
de ses amis. Il faut dire que le couple partage une passion commune pour la
cuisine traditionnelle et la gastronomie." (Source, site Madeleine
Dinès)
Mélik n'a
pas été insensible au talent culinaire de son amie : "Ce vieux château , 3 février 58, Ma chère petite deleine, que veut dire
ton silence glacial et que veut-il ne pas dire? Pourtant l'odeur de la chaleur
de tes pondeuses eût dû de temps à autre te donner l'idée bienfaisante à moi de
tremper l'une des plumes de la volaille que tu plumes dans quelques encriers de
tes parages et de diriger un gentil mot vers le domaine de l'ermite. Es-tu
contente de ton nouveau labeur? Quelle sorte de mangeurs vient y déguster tes
accomplissements culinaires? gens modestes? étudiants? artistes? gastronomes?
ou snobs sans classe ou quoi ou quoi ou quoi? Mais ne réponds pas à cette avalanche
de questions par une avalanche de réponses. Une seule ligne simple me
suffira..."
"Ce vieux château de Cabriès, 24 août
54, Chère Madeleine, dans l’absence de bruits que produit la nuit le seul qui
se produise est celui de mon stylo Parker évoluant dans le voisinage. Ne suis
pas mécontent de la poursuite de ma vie d’isolé – sans être recroquevillé dans
une simili tour je m’étire naturellement et chaque bâillement m’est devenu
tonique et productif – bâillement-force auraient dit les futuristes italiens en
1912 et c’était bien. Le grand amour travaille mes peintures, la pensée du
Maître n’est pas essoufflée et plus de problèmes insolubles – organisation
satisfaisante d’un état de chose féodal moderne ou anarchiste dans le sens haut
du terme. La santé est recouvrai par l’évincement total du vin et des sauces.
Il aura fallu pour qu’une telle décision soit prise les approches même de la
cirrhose. Une mort précoce m’est ainsi évitée, et plus de ces étouffements
épuisants et désagréables et me contraignant à des travaux de courte haleine.
Excusez-moi de ne vous écrire pas, mais je vais maintenant élargir le champ de
mes activités amicales et redonner des signes probants de vie aux amis
lointains. L’été se passe-t-il bien pour vous – où le passez-vous ? Ne me
croyez pas isolé de vous. C’est simplement de cette manie de ne pas écrire que
je dois tout à fait me défaire et alors seulement que tout va mieux encore. Au
revoir Madeleine. Dites bien mes amitiés à Jean Follain – vôtre amicalement
Mélikedgar."
"Ces jours-ci furent de froid, la
décongélation opère. Mais que c'est beau ce château! Ce qu'il peut l'être,
beau, ce château. Même quand diantrement froid. Quand il est froid il l'est
diantrement. Les maçons attendaient le dégel des murailles pour cimenter dans
l'abattoir le futur atelier ouest avec baie au-dessus du clos, ou plus
véritablement l'un des trois futurs et prochains, je le souhaite, ateliers
ouest, siège de la prochaine Académie Française et Intercontinentale d'Art
Plastique, ce de quoi déjà on s'émeut, s'entendront dans les milieux battus de
ces magnifiques murmures de dents de scie grinçantes.", Lettre du 14
janvier 1959
Mime Marceau ( 1923-2007)
Au théâtre de Poche Montparnasse, le 22 mars 1947, jour du 24e anniversaire
de l’artiste, sort de l’ombre des coulisses un drôle de personnage, pierrot
lunaire, « hurluberlu blafard » à l’œil charbonneux et à la bouche
déchirée d’un trait rouge, un drôle de haut-de-forme sur la tête, une fleur
rouge tremblotante servant de panache à ce Don Quichotte dégingandé en lutte contre les moulins à vent de
l’existence : « Bip » était né, «personnage
intemporel, tout en étant proche de mes rêves d'enfants. Il se cogne à la vie
qui est à la fois un grand cirque et un grand mystère, et j'aime à dire qu'il
finit toujours vaincu, mais toujours vainqueur… Il est tout ensemble l'homme de
la rue, un vagabond du quotidien et l'homme universel affrontant le
tragi-comique de l'existence… Il est l'homme tout simplement, se montrant dans
la nudité et la fragilité de son être. » Inspiré par « le Paris de l'après-guerre avec ses vieilles rues, ses
becs de gaz jaunis par le temps et le cri des faubourgs » (source : Entretien avec François-Brice Hincker, « Marcel
Marceau : L'humaniste du silence », Saisons d'Alsace, 2003).
Mélik a eu une véritable admiration pour Bip, ce théâtre du silence et de l'émotion. A quels spectacles a-t-il assistés ? Comme pour Edith Piaf et Georges Brassens il lui consacre de puissantes images, don probablement unique et très singulier au Mime Marceau.
E. Mélik, Le mime Marceau, localisation inconnue (photo couleur Studio Da Silva, et titre J. Rey, "Le peintre à la matière solaire", Semaine Provence, 1975. |
Bip, le chapeau plat et le jeu expressif des mains |
E. Mélik, Bip et Colombine, 65 x 45 cm, collection particulière |
Naissance de Bip, 1947
|
E. Mélik, Bip et le marcheur à la queue de pie, 113 x 80, HSB, collection particulière |
II. Marseille : Alexandre Toursky, Raymond Fraggi (L.H. Nouveau, Charles de Montmirail),
Max Papart, Le Rideau gris (Louis Ducreux, André Roussin, Henri Fluchère),
Richard Mandin.
Passeport, 4 décembre 1934, Marseille (archives musée Edgar Mélik) |
Alexandre Toursky (1917-1970)
"La vision d'Edgar Mélik traverse un monde
dont nous ne savons pas s'il a été le nôtre, mais qui nous trouble à la façon
des paysages vus en rêve et plus tard découverts.
Portraits imaginaires qui font penser
moins à l'homme qu'à l'humanité, moins à
l'existence qu'à l'essence. Ce sont de grandes figures fermées, affleurant
l'espace, pareilles aux débris géants d'une architecture qui raconterait
Ninive sous les sables...
Colossales poupées, falaises
fétiches, idoles par la bouche desquelles passent des armées...
Mieux que tout autre, Edgar Méli
pourrait nous proposer les images d'un monde original, encore entre flamme et
boue, entre sève et sang; d'un monde où l'Esprit, confus de s'être laissé
prendre à l'homme, le bouscule et le cogne à son Futur.", Octobre 1947 (repris dans Edgar Mélik, la peinture à la pointe du
temps, 1953).
" Cabriès, beau village de l'arrondissement
d'Aix-en-Provence, m'est cher depuis longtemps. Ma mère, née à Gardanne, me
contait volontiers les exploits cynégétiques de mon grand-père dans les
collines boisées qui entourent ce très ancien "castrum". Plus tard,
beaucoup plus tard, les hasards d'un reportage me lièrent d'amitié avec Raymond
Martin, actuel maire de Cabriès, une amitié dont le temps n'a fait que
resserrer les liens. A peu près à la même époque, je devais entamer avec le
curé Joseph Rey, un réjouissant commerce spirituel et retrouver, seigneur de
ces lieux escarpés, l'un des plus grands peintres de notre époque, le sidéral
et prophétique Edgar Mélik. Le ciel m'accorde d'entendre sonner l'heure qui
verra ce maître accéder à sa juste gloire que méritent son intransigeance
farouche et la majesté visionnaire de son talent : j'ai la fierté de me compter
parmi ceux qui reconnaissent dans l'originalité profonde de sa démarche le cri
d'une âme droite et d'un cœur enthousiaste.", Le Méridional, juillet
1968
Mélik, Alex Toursky, Suzanne Valabrègue, Rue des trois rois Mages, Marseille, 1945 (archives musée Edgar Mélik, Cabriès) |
Le Rideau Gris : Louis Ducreux (1911-1992), André Roussin (1911-1987) et Henri
Fluchère (1898-1987).
Fondée à
Marseille en 1931 par Louis Ducreux elle joue un répertoire exigeant : sous
l'impulsion d'Henri Fluchère, la troupe mit à son répertoire
plusieurs pièces élisabéthaines alors peu connues en France. C'est ainsi que
furent montées, outre La Tempête de Shakespeare,
L'Opéra des Gueux de John Gay, ou encore La duchesse d'Amalfi de John Webster (voir André Roussin, rideau gris et habit vert, Albin Michel 1983, et Alain Paire, "Les débuts du Rideau Gris", revue Marseille, 1994).
Salons Massilia, représentation du Rideau Gris |
"Le Rideau Gris fut un peu à Marseille ce qu’avait été à Paris le premier Vieux
Colombier de Copeau. Né d’une même exigence, d’un besoin de réaction contre le
Boulevard, animé par un jeune intellectuel raffiné et indépendant, lequel
mettait en scène et jouait dans ses spectacles, cette Compagnie apportait un
style personnel et inconnu, et faisait, sur un plateau de 5 mètres carrés,
entrer cette fée si rare au théâtre : la poésie. Le
Rideau Gris n’était pas une affaire commerciale, mais un club, et
chaque spectacle, répété tous les soirs un mois durant, n’était représenté
qu’une seule fois." (source : Association de la Régie Théâtrale).
Mélik assiste probablement très vite, après son arrivée à Marseille début 1932, aux représentations mensuelles de la compagnie du Rideau Gris, dans les Salons Massilia. Il demande à ses parents l'envoi de ses souliers vernis, son costume...
E. Mélik, Banquet de Platon (la troupe du Rideau gris), c. 1935, 150x100m, collection particulière |
E. Mélik, Le peintre et sa compagne au théâtre, Fusain et huiles, 28 x 22 cm, collection particulière |
Raymond Fraggi (1902-1972) : réseau d'artistes et de collectionneurs. Ami de Mélik dès son arrivée à Marseille. Ce peintre
travaille dans l'entreprise d'import-export de L. -H. Nouveau (1895-1966). Il lui parle de jeune peintre qui vient
de s'installer à Marseille et qui vit dans le dénuement. Très fortuné et
généreux L. H. Nouveau s'intéresse à sa peinture et à l'occasion d'offrir à
Mélik une paire de bottes en cuir qui ne lui vont plus (il en achète
régulièrement à Londres). Dans son atelier Mélik commence par dire qu'il va les
teindre en noir, puis il ramasse par terre un dessin au fusain et le tend à
Nouveau qui lui fait remarquer qu'il pourrait peut-être choisir celui qui lui
plaît le plus. La réplique de Mélik est restée fameuse : "Je n'ai pas
choisi les bottes, pourquoi tu choisirais le dessin?".
R. Fraggi, jeune peintre ami d'Edgar Mélik, collection Famille Fraggi |
E. Mélik, Femme au chapeau et danseuse nue, HST, 60 x 50 cm, collection privée E. Fraggi |
" Nous fîmes quelques pas dans
la rue et, au bout de cent mètres, nous fûmes arrêtés par un couple habillé très strictement... Moitié en très
mauvais français, moitié en allemand, l'homme nous dit à peu près :
"Messieurs, la vue de vous tous nous bouleverse. Nous ne savions pas, je
vous demande pardon. " Je n'avais pas envie d'entendre ça, je répondis :
"Allez-vous en!" Il insista encore une fois : "Je vous enprie,
je vous demande pardon! " Je ne désirai aucune brutalité, mais vraiment je
ne pouvais entendre cela; cela me dégoûtait. J'avais encore dans l'oeil
l'expression des femmes d'officiers S.S. dans le camp, lorsqu'elles nous regardaient
porter des pierres. J'avais encore dans l'oeil la vision des enfants qui
faisaient de la luge et entraient dans les rangs de prisonniers, comme s'ils
entraient dans les rangs d'un troupeau de moutons. Ce vieux qui avait honte,
qui demandait pardon, c'était parce qu'il était vaincu. Vainqueur, il n'aurait
pas eu honte. Cette attitude est à l'inverse de ma nature, vainqueur je me sens
indulgent, vaincu je me sens cabré.", Un autre monde. Seize mois à
Buchenwald, Calmann-Lévy, 1961.
E. Mélik, Groupe humain, 1934 (ancienne collection L. H. Nouveau)
|
Raymond Fraggi, Antoine Ferrari
(1910-1995) et Mélik n'ont pas beaucoup d'argent et de temps en temps payent à
trois un modèle. La méthode de Mélik avait tout pour déconcerter ses amis
peintres : il regardait longuement le modèle puis lui tournait le dos et se
mettait à dessiner de tête. R. Fraggi n'a pas seulement fait naître l'amitié
entre L. H. Nouveau et Mélik mais aussi avec Charles de Montmirail (1908-1985), puisque leur deux familles
étaient amies depuis longtemps. Charles de Montmirail est immédiatement devenu
le meilleur collectionneur de Mélik, et R. Fraggi disait de lui, "Il
n'aime pas la peinture, il a la passion pour celle de Mélik".
E. Mélik, Charles de Montmirail, collection particulière |
E. Mélik, Ivane de Montmirail, collection particulière |
Richard Mandin (1909-2002)
Edgar Mélik le rencontre dès son
arrivée à Marseille en 1932 puisqu'il se fait connaître très vite en exposant à
la galerie Le Radeau, dans les salles de la compagnie du Rideau gris, et
galerie du Studio da Silva, 67 rue Saint-Ferréol (1934). Tous les deux évitent
un peu le café Le Péano et préfèrent se retrouver au vieux café Rampal,
également rue Fortia (témoignage de B. Plasse).
Mélik ne se considère d'aucune façon comme un peintre "provençal",
ses racines sont dans l'Ecole de Paris (1925) et le "surréalisme nietzschéen" (Entretien 1937). Il ne s'inscrit pas
dans l'"Expressionnisme du Sud" selon l'expression d'André Alauzen.
Le Provençal, Quatre peintres chez da
Silva, Février 1964, Mandin, Ambrogiani, Ferrari regardent une toile du 4° peintre Edgar Mélik.
Max Papart (1911-1994). Quelques-unes de ses lettres adressées à Lil Mariton, galeriste au 67 rue saint-Ferréol, Marseille, nous éclairent sur le regard qu'un peintre ami, né à Marseille et installé à Paris, pouvait avoir sur l'art de Mélik.
Max Papart (photo A. Alauzen, La peinture en Provence du XIV° siècle à nos jours, 1962) |
Le sort des peintres à Paris à
quelque chose d’assez dur, mais en Province, s’ils ont du génie et de la sorte
de celui de Mélik, c’est absolument
effrayant.
J’ai un Mélik : soldat en tunique rouge et blanc encadré au-dessus de
mon lit. Il veille férocement sur mon sommeil. C’est avec beaucoup de tristesse
que je pense à Mélik. Rien n’a
changé depuis Van Gogh et le pauvre
Vincent mourrait tout de bon aussi bien de nos jours, car n’est diffusée auprès
du grand public que l’œuvre des peintres cotés en bourse et le nombre
d’artistes contemporains vivants qui historiquement auront une forte place et
qui n’ont aucune cote à la salle reste bien plus élevé qu’on ne le croit.
Sortiront de province comme d’Arles,
d’Aix et de Tahiti des œuvres qui par leurs qualités et leur importance, leurs
auteurs bien mis sous terre, feront les délices des teneurs de plumes.
J’ai lu récemment dans un article sur
le cinéma : « cet art, rongé par le commerce »…
On peut dire aussi de la peinture de
nos jours : « Cet art rongé par le commerce ». Mais peu importe et c’est ainsi que pour
faire une œuvre vivante on y laisse ses tripes."
"3 rue l’AVRE XV°, Paris le 5 février 1954, Chère
Lily , voici ce qu’il en est pour Mélik :
1° :
j’ai voulu le voir avant de regagner Paris. Je l’ai trouvé dans le froid
habituel, sans argent et endetté auprès de son épicier grâce à quoi il mange.
Dans tout cela fort calme et paraissant en excellente santé.
J’ai trouvé ses toiles très belles
mais sa peinture est trop avancée pour la province, et, même à Paris ne
correspondrait qu’à certaines galeries orientées vers l’abstrait ou les
recherches de gens tels Miro, Kandinsky, Braque etc."
E. Mélik, La Sorcière |
E. Mélik, Femme nue remplissant une coupe (Photos Studio da Silva), non localisés |
" J’aimerais
bien que Mélik expose un jour à
Paris. Nous en parlerons si tu veux. Je viens de voir au musée d’Art moderne
l’exposition de l’œuvre de James Ensor
(février-avril 1954). Mélik est un
peintre d’une envergure et d’une qualité très nettement supérieures, quelles
que soient les qualités et la personnalité (sommes toutes peu marquée) d’Ensor.
Que te dirai-je ? Van Gogh
n’aurait de nos jours pas la plus petite chance de réussir à Paris, ni Cézanne, ni Modigliani. Heureusement que j’ai la dent solide et que je regarde
tout ce joli monde d’ici, d’un grand sang-froid ."(mars 1954)
Extraits de lettres adressées à Lil Mariton,
galerie Studio da Silva, Marseille, Archives privées.
III. Provence/ Alpes maritimes (Vence, Saint-Paul-de-Vence, Menton, Forcalquier, Bollène) : André
Verdet, Lucien Henry, Jules Mougin, Louis Pons, Suzanne Valabrègue, Louis
Trabuc.
André Verdet (1913-2004)
Mélik expose
à Menton en 1950, puis à la Colombe d'Or à Saint-Paul-de-Vence, en 1951 à la galerie
Les Mages d'Alphonse Chave à Vence et à la galerie Octobon en 1954 (58 tableaux
et 10 études).
André Verdet
lui consacre un long article dans Le
Patriote le 18 septembre 1954 : "L'œuvre
de Mélik Edgar vous saisit au premier regard par sa grandeur et son mystère.
Surgies du fond des temples archaïques, encore toutes tapissées de soufre et
d'humus originel, telles des divinités mayas, égyptiennes ou hindoues, ces
figures se perpétuent en nous en y laissant rayonner notre sensibilité d'un
tragique éclat vital.
Ce peintre viscéral, dont la pâte,
riche en substances actives, est comme un levain moléculaire, se hisse pourtant assez haut pour nous faire toucher du
coeur et de l'esprit aux problèmes de notre destinée, passé et d'avenir. Les
sujets choisis ne sont que le prétexte pour nous situer en face de
l'angoissante question de l'origine.
Beaucoup de tableaux de cet artiste
ne sont pas sans nous agresser, leur caractère monumental ajoutant à l'insolite
de la vision. La violence de leurs rouges sanglants, leurs bleus sublimes et la
fulgurance de leurs jaunes arrivent à des contrastes brutaux qui seront loin de
plaire aux amateurs de douces mélodies. La musique que nous propose Mélik n'est
pas "plaisante". C'est une symphonie passionnée, houleuse, aux
éclaircies de tendresse, dont les vastes timbres polyphoniques s'opposent, se
heurtent, rythmes d'un monde en gestation, avant de s'établir en durables
harmonies.
L'art, par lequel s'exprime ce grand
peintre, nous trouble et nous hallucine parfois, dans ses outrances. Mais
l'impassible noblesse qui monte lentement et baigne le fond de chaque tableau
sauve la pastique des dangers de l'expressionnisme. Mélik Edgar, ce barbare des
temps modernes dont l'oeuvre est à la fois hiératique et vivante s'intègre
partout parmi les classiques des civilisations successives. Le langage qu'il
nous parle, tiré presque sans transition des abîmes de l'art et de l'humain,
nous ouvre les porte de l'art d'aujourd'hui. Telle était sa signification et sa
lumière."
André Verdet, Picasso, Paul Eluard |
André Verdet
et Edgar Mélik seront à l'honneur du IX° salon de Noël de Bollène (décembre
1962). Mais on a un témoignage direct d'André Verdet quand des céramiques de
Picasso furent exposées au château de Cabriès durant l'hiver 1988/89. " Avec beaucoup de nostalgie je me remémore le
temps où la bâtisse était habitée et continue à être habitée par le peintre
Edgar Mélik, ce grand singulier de l'art, et comme hantée par sa propre
présence... Edgar Mélik portait haut dans son coeur deux peintres favoris :
Vincent Van Gogh et Pablo Picasso. Pour ce dernier sa ferveur était d'autant
plus grande qu'elle était comme cachée. Il ne s'ouvrait qu'à très peu d'amis.
Mais me sachant proche de l'artiste espagnol, il ne manquait pas lors de nos
rencontres à Cabriès ou à Grasse chez Consuelo de Saint-Exupéry, de sa voix
rauque et grondante de me questionner : "Comment va le sorcier?",
Picasso, L'oeuvre céramique, Château
de Cabriès, 1988.
Mélik sur la terrasse du Château de Cabriès ( Photo dans Mélik, Grand Palais, Janvier 1988, sur des propos d'Hubert Juin, de Gérard Martin et d'Edgar Mélik, Gui BENUCCI Editeur). |
Mélik, 1957 (collection particulière) |
Mélik à Cabriès (au dos : Cabriès 16 août
1952 (collection privée)
|
Louis Pons (né en 1927), ami d'Edgar Mélik, qui partagera la vie d'une ancienne amie de Mélik (Suzanne Valabrègue), il écrira un très beau texte pour le recueil Témoignages réalisé par Danièle Malis, conservateur du Musée Edgar Mélik, en 2000.
Louis Pons, Suzanne Valabrègue et Lucien Henry devant la galerie "Le Clou" à Forcalquier (photo Ville de Forcalquier |
"Quelques
mois après la libération de la ville de Marseille j'ai vu Mélik pour la
première fois dans un appartement tout en haut de la Canebière face au bar
"Le Claridge", maintenant disparu, où j'avais mes habitudes. C'était des amis de René Allio où un jeune groupe de théâtre naissant répétait je ne
sais plus quel texte. Son altière silhouette de prince clochard se découpait
contre un mur. Voix gutturale - orgueil à toute épreuve - il scandait, accoudé
à une cheminée, des poèmes de Miloz.
Fascination et retrait chez les dames; en pardessus et veste, le col nu sans
chemise, une mèche de cheveux bruns barre le front, double ride entre les
sourcils. Il pointait des phrases définitives, l'index tendu vers vous,
n'attendant aucune réponse; on était pour lui ou contre lui, à ses yeux du
moins.
Parfois, rarement, il faisait des
incursions au bar du Péano près du port - décalé dans ce milieu de peintres par
trop locaux.
De haute solitude, il était l'image.
Sur le cours Mirabeau à Aix-en-Provence, lui et Gabriel Laurin sur des trottoirs différents, sauvages, tous les
deux glissaient, maître chacun de leur territoire.
Ils faisaient forte impression sur
l'adolescent que j'étais.
Vivante leçon physique d'indépendance
totale.
Gorgé de textes de Nietzsche, hanté par des mythes
solaires, tendu vers un orient mental, fait d'ocres et de sang.
Très fier d'un manque d'humour total,
prophète omniprésent de son moi. Adulte plus qu'enfantin ne sachant jouer qu'à
un seul jeu : le sien.
D'une grande honnêteté morale; par
ailleurs des qualités de bon vendeur. Cachant ses meilleurs tableaux et vendant
les autres.
Un chien souvent l'aidait à défaire
le ménage dans les nombreuses et vastes pièces blanches, lumineuses, gorgées de
toiles du parquet au plafond.
Photos Studio Da Silva, 1973 |
Il lui arrivait, sous le sceau du
secret, d'ouvrir trois ou quatre grandes caisses de bois blanc, fermées à clefs,
bourrées de grands dessins sur papier ingre, contrecollées sur des cartons
blancs, ou tracés directement sur ceux-ci à l'aide de crayons gras rehaussés
de-ci de-là d'une large touche d'ocre clair posée à la brosse sèche ou d'un
frottis de noir à même le grain du papier... Grande ampleur des masses pleines
pages. Une sorte de génie fébrile et sûr, une intensité rare habite le blanc du
papier, et un sentiment d'éternité gagne le regard. J'ai vécu longtemps avec un
dessin de lui sous les yeux, un homme nu sur une plage qui me tournait le dos.
Edgar Mélik, Homme de dos, Fusain et huile, 50 x 55 cm, collection particulière |
Toutes ces sensations sont très
lointaines, mais si vivaces encore , mon admiration à ce jour reste forte et
entière.",
Louis Pons (Source : Edgar Mélik,
Témoignages, Rétrospective 2000, Musée Edgar Mélik)
Suzanne Valabrègue (1904-1972)
Lettre à
Madeleine Follain (1957) : "Chère Amie, Deux nuits de sommeil
bienfaisant ici me remettant des journées passées ici et en ville - hier à midi
chez Suzanne en train de recouvrer la santé après une terrible crise d'asthme
qui la mena pendant 50 heures à deux doigts de la mort, à moins d'un cheveu de
la mort - même, dans la mort pendant 10 heures, le cœur ayant cessé de battre -
coagulation du sang du cœur. Elle m'a dit qu'elle était morte entourée de mes
peintures et qu'elle a repris la vie au milieu d'elles. Cet état de mort était
paraît-il inimaginablement beau." (Source : Fonds Jean Follain l'IMEC)
Edgar Mélik, Suzanne et son double, HSC, 31 x 23 cm (au dos, "collection Suzanne Valabrègue, galerie Berlioz") |
Louis Trabuc (1928-2008)
"Je n'oublie surtout pas le maître Edgar Mélik
aux personnages somptueux et fantastiques, retiré en son château de Cabriès
avec ses lévriers, qui détestait les marchands d'art avec raison, d'où pas
de "cote", la ridicule "cote" qui est leur invention
financière souvent politisée qui n'a rien à voir avec la valeur et le talent
d'un peintre, d'un vrai peintre et pas celui qui fait des cadres !"
Edgar Mélik, Homme se retournant sur un groupe de femmes, 1935, dessin, collection L. Trabuc |
Edgar Mélik, Autoportrait enfant, collection L. Trabuc |
"Sa sulfureuse compagne, Suzanne Valabrègues,
à l'imaginaire délirant aimait les intrigues et les aventures rocambolesques
souvent excessives.
Mais finalement ces rencontres à l'ambiance ambiguë étaient très bénéfiques pour s'évader du quotidien des habitudes et affermissaient la créativité des deux plasticiens.
Suzanne tous les matins écrivait des lettres pour décrire avec beaucoup d'ironie le milieu artistique, elle signait " S " .
Muse d'écrivains et d'artistes - dont le peintre Edgar Mélik - elle est reconnaissable dans ses personnages aux chaussures rouges." (source : site Louis Trabuc)
Mais finalement ces rencontres à l'ambiance ambiguë étaient très bénéfiques pour s'évader du quotidien des habitudes et affermissaient la créativité des deux plasticiens.
Suzanne tous les matins écrivait des lettres pour décrire avec beaucoup d'ironie le milieu artistique, elle signait " S " .
Muse d'écrivains et d'artistes - dont le peintre Edgar Mélik - elle est reconnaissable dans ses personnages aux chaussures rouges." (source : site Louis Trabuc)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire