La dernière exposition qui a eu
lieu à la Galerie d’art du Conseil général des Bouches-du-Rhône (fermeture par
décision politique du CG13), cours Mirabeau à Aix-en-Provence évoquait la
simplicité des grands artistes devenus vieux et toujours créatifs dans leur
atelier. Les photographies de grande qualité servaient ce projet. Comme souvent
dans ce genre d’exposition, il n’y avait que des noms connus. Comme si les
artistes moins célèbres n’avaient pas eu une vie aussi passionnée, et une œuvre
à déchiffrer. Il est normal que le blog de l’Association des Amis du musée
Mélik rende à sa manière un hommage à son peintre, resté en marge des modes et
du succès.
Edgar Mélik a voulu être un artiste confidentiel en raison de sa
méfiance envers le monde des marchands de tableaux, et surtout de la jalousie
pour ses tableaux qu’il ne voulait vendre qu’à des amateurs sincères. Son
attitude est moins singulière qu’on ne le croit, car tout artiste vit plus ou moins
difficilement la relation entre son œuvre et le Mécène. S’y ajoute la révolte
des artistes modernes contre le goût dominant, au moins depuis Manet. Il suffit
de lire les chroniques mondaines des Salons parisiens au tournant du XIX°
siècle pour comprendre que les artistes postérieurs n’ont fait que se défendre
contre un mépris dominant et sans nuance ( voir par exemple Philippe Dagen, Pour ou contre le fauvisme, Somogy,
1994). Le surréalisme - dont Mélik a partagé la révolte poétique des années 20
et 30 (lecteur de Lautréamont et de Rimbaud, comme des Champs magnétiques de Breton et Soupault) - a amplifié ce mépris contre le goût facile afin
de protéger l’intégrité de la recherche de l’artiste : « L’approbation du public est à fuir
par-dessus tout. Il faut absolument empêcher le public d’entrer si l’on veut
éviter la confusion. J’ajoute qu’il faut le tenir exaspéré à la porte par un
système de défis et de provocations », André Breton, Second Manifeste du surréalisme (1930).
Les comportements de Mélik étaient incontestablement sincères et en même temps
non dénués de distance ironique à l’égard de cette mythologie littéraire de
l’artiste, chercheur de l’absolu, tel le Frenhofer de Balzac dans Le Chef-d’œuvre inconnu. Mais tous les
échecs de la vie artistique que Mélik a su affronter avec une incontestable
ténacité pouvaient ainsi s’inscrire dans l’idée du héros métaphysique dont le
destin exprime la tragédie d’une vie créatrice et néanmoins cachée. Mélik
l’assumait dans le défi et le mystère en se définissant lui-même par un « surréalisme nietzschéen » en 1937,
dans son atelier rue Daguerre, devant la journaliste d’art au Comoedia ! Le jeune artiste méconnu,
qui avait déjà connu d’injustes échecs (notamment l’exposition de mars 1936,
à Marseille, Galerie Da Silva) ne manquait pas de Volonté de puissance,
indispensable pour poursuivre dans sa voie. Mélik a assumé la vie parfois
ingrate qu’il menait, et il confiait que c’était l’acte de peindre qui le
rendait pleinement heureux. D’où la valeur exceptionnelle de témoignage que
représentent les deux catalogues de photographies couleur réalisés par le
Studio Da Silva (début 70). Le premier album contient 79 photographies (17,5 x 17,5
cm) de l’extérieur de « ce vieux château de Cabriès » (selon
l’expression même de Mélik) et des pièces intérieures avec leurs rangées
étonnantes de tableaux sur les hauts murs.
Le second album contient 73 photos un peu plus grandes (23 x 17,5 cm)
des tableaux et des fresques. En plus du plaisir esthétique des photos et des instants de vie cette collection de 152
photos est un outil de connaissance de l’œuvre et de ses sens possibles.
La magie de la fabrique des couleurs pures |
Mélik reprenant inlassablement ses tableaux |
Couloir du château de Mélik |
Accumulation des oeuvres |
Cette photo est exceptionnelle
parce que le grand tableau à droite représentant deux hommes est connu par une photo de presse
en noir et blanc (Octobre 1959, Archives du musée Mélik, Cabriès). L’exposition de 27 tableaux à la galerie
Sources à Aix-en-Provence est considérable si on veut se faire une idée de
l’univers mental de Mélik. Le cycle réalisé par Mélik était un hommage à Van
Gogh. Mais c’est par un article d’André
Alauzen (29 octobre 1959, Le
Méridional-La France) que nous pouvons deviner la signification spirituelle
du tableau : « Et de provençal,
il l’a naturalisé aixois, par ce numéro 4, où dans le bleu et l’ocre Mélik
s’est représenté main-à-main avec Vincent. Cette grande toile est
prodigieuse ». Mélik soutient Van Gogh dans un voyage d’outre-tombe,
le visage qu’il lui a donné étant proche d’un autoportrait de Van Gogh.
L’importance du piano, où se voit la fusion entre musique et peinture.
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Tous les formats, tous les styles avec la vie de tous les jours |
Mélik, La Fille de Gaïa (73 x 60 com)
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Ce tableau est très instructif
pour comprendre comment fonctionne la peinture de Mélik, au-delà de l’apparence
visuelle. Son titre renvoie au mythe de Cronos (ou Saturne) dévorant ses
enfants mâles. Si la tête massive est celle de Saturne (le dieu de la
Mélancolie et des artistes), la femme adulte est Rhéa, la fille d’Ouranos et de
Gaïa. La jeune fille blottie contre sa mère regarde son père qui dévore ses
frères dès leur naissance. Ce tableau a
été exposé en Suisse, à Sierre en 1969 (53 peintres rhodaniens d’aujourd’hui,
Exposition internationale). C’est par le catalogue de l’exposition que nous
connaissons son titre (sans lui le tableau resterait une représentation sans
charge symbolique), et c’est par cette unique photo que nous connaissons le jeu
des couleurs et la texture (tableau non localisé).
Parmi les artistes présents dans
leurs ateliers dans l’exposition du Conseil général (Picasso, Matisse,
Giacometti, Vieira da Silva – peintre formée comme Mélik à l’académie Ranson,
etc.), Pierre Bonnard - que Mélik nomme
dans des entretiens de presse parmi ceux qui comptent pour lui (avec Derain,
Matisse, Manessier, Soulages, Vlaminck) - est incontestablement un des plus
touchants. Peintre parfois regardé de haut par la critique d’avant-garde des
années 40, il serait important de comprendre ce que Mélik appréciait en lui
(contre l’avis de Christian Zervos par exemple, dans les Cahiers
d’art de 1947). Pourquoi Bonnard dans l’univers esthétique de
Mélik ? En attendant, cette photo
d’atelier le montre âgé et humble au milieu de ses dessins.
Photo de Brassaï, mur
d’atelier de P. Bonnard, nd (catalogue d’exposition)
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Cette autre photo représente l’univers esthétique de Bonnard, avec les
cartes postales d’œuvres qui comptaient pour lui (Sérusier, Gauguin, Picasso,
estampe japonaise, buste hellénistique, etc.). Cette pratique est bien attestée
chez Gauguin parti en Polynésie avec des reproductions de bas-reliefs égyptiens
dont les attitudes se retrouvent dans ses propres frises de Vahinés. Les
modèles de formes circulent au gré de la quête du peintre. En était-il de même
pour Mélik ou faut-il croire à une sombre solitude sur le plan
artistique ? Nous savons par la Biographie de l’œuvre due à J.M. Pontier
que Mélik s’est arrêté à Avignon Eté 1947 pour la grande exposition de peinture
contemporaine (voir Mélik face à Picasso, sur ce blog). Qu’il a admiré le travail de Picasso et Paul
Klee ! Dans les archives du musée
Mélik se trouve la carte postale suivante, percé (trace de rouille !)
comme une image punaisée au mur. Il
s’agit d’une œuvre de Le Corbusier.
La Fondation Le Corbusier
m’a donné des informations qui intéressent celui qui s’interroge sur les intérêts
esthétiques de Mélik. La carte postale
est celle du carton d’une tapisserie (216x365 cm) jamais réalisée, « Le rideau écarté ». Le carton de
même taille que la tapisserie, avec ébauche de couleur, a été montré au Palais
des papes à Avignon en 1949 ! La
présence de cette carte postale dans l’atelier de Mélik indique qu’il avait
cette pratique de beaucoup d’autres peintres (Gauguin, Bonnard). Elle prouve
aussi son intérêt plastique pour l’art en train de se faire, avec cette ligne
sinueuse et simple de Le Corbusier.
Le Corbusier, Emaux,
Exposition J1, 2013, Marseille (Photo R. Mackie) |
A
travers ce petit hommage à l’atelier de Mélik nous comprenons l’importance des
deux catalogues de photos couleur réalisé par l’atelier professionnel Da Silva
à Marseille quelques années avant la mort du peintre, studio qui fut aussi la
galerie la plus fidèle à son œuvre, grâce à Lil Mariton et Fred Bahr.
Olivier Arnaud
Based
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