samedi 27 septembre 2014

L'atelier d'Edgar Mélik (par Olivier Arnaud)

La dernière exposition qui a eu lieu à la Galerie d’art du Conseil général des Bouches-du-Rhône (fermeture par décision politique du CG13), cours Mirabeau à Aix-en-Provence évoquait la simplicité des grands artistes devenus vieux et toujours créatifs dans leur atelier. Les photographies de grande qualité servaient ce projet. Comme souvent dans ce genre d’exposition, il n’y avait que des noms connus. Comme si les artistes moins célèbres n’avaient pas eu une vie aussi passionnée, et une œuvre à déchiffrer. Il est normal que le blog de l’Association des Amis du musée Mélik rende à sa manière un hommage à son peintre, resté en marge des modes et du succès. 
Edgar Mélik a voulu être un artiste confidentiel en raison de sa méfiance envers le monde des marchands de tableaux, et surtout de la jalousie pour ses tableaux qu’il ne voulait vendre qu’à des amateurs sincères. Son attitude est moins singulière qu’on ne le croit, car tout artiste vit plus ou moins difficilement la relation entre son œuvre et le Mécène. S’y ajoute la révolte des artistes modernes contre le goût dominant, au moins depuis Manet. Il suffit de lire les chroniques mondaines des Salons parisiens au tournant du XIX° siècle pour comprendre que les artistes postérieurs n’ont fait que se défendre contre un mépris dominant et sans nuance ( voir par exemple Philippe Dagen, Pour ou contre le fauvisme, Somogy, 1994). Le surréalisme - dont Mélik a partagé la révolte poétique des années 20 et 30 (lecteur de Lautréamont et de Rimbaud, comme des Champs magnétiques de Breton et Soupault)  - a amplifié ce mépris contre le goût facile afin de protéger l’intégrité de la recherche de l’artiste : « L’approbation du public est à fuir par-dessus tout. Il faut absolument empêcher le public d’entrer si l’on veut éviter la confusion. J’ajoute qu’il faut le tenir exaspéré à la porte par un système de défis et de provocations », André Breton, Second Manifeste du surréalisme (1930). Les comportements de Mélik étaient incontestablement sincères et en même temps non dénués de distance ironique à l’égard de cette mythologie littéraire de l’artiste, chercheur de l’absolu, tel le Frenhofer de Balzac dans Le Chef-d’œuvre inconnu. Mais tous les échecs de la vie artistique que Mélik a su affronter avec une incontestable ténacité pouvaient ainsi s’inscrire dans l’idée du héros métaphysique dont le destin exprime la tragédie d’une vie créatrice et néanmoins cachée. Mélik l’assumait dans le défi et le mystère en se définissant lui-même par un « surréalisme nietzschéen » en 1937, dans son atelier rue Daguerre, devant la journaliste d’art au Comoedia ! Le jeune artiste méconnu, qui avait déjà connu d’injustes échecs (notamment l’exposition de mars 1936, à Marseille, Galerie Da Silva) ne manquait pas de Volonté de puissance, indispensable pour poursuivre dans sa voie. Mélik a assumé la vie parfois ingrate qu’il menait, et il confiait que c’était l’acte de peindre qui le rendait pleinement heureux. D’où la valeur exceptionnelle de témoignage que représentent les deux catalogues de photographies couleur réalisés par le Studio Da Silva (début 70). Le premier album contient 79 photographies (17,5 x 17,5 cm) de l’extérieur de « ce vieux château de Cabriès » (selon l’expression même de Mélik) et des pièces intérieures avec leurs rangées étonnantes de tableaux sur les hauts murs.  Le second album contient 73 photos un peu plus grandes (23 x 17,5 cm) des tableaux et des fresques. En plus du plaisir esthétique des photos et  des instants de vie cette collection de 152 photos est un outil de connaissance de l’œuvre et de ses sens possibles. 
La magie de la fabrique des couleurs pures

Mélik reprenant inlassablement ses tableaux
Couloir du château de Mélik

Accumulation des oeuvres
Cette photo est exceptionnelle parce que le grand tableau à droite représentant  deux hommes est connu par une photo de presse en noir et blanc (Octobre 1959, Archives du musée Mélik, Cabriès).  L’exposition de 27 tableaux à la galerie Sources à Aix-en-Provence est considérable si on veut se faire une idée de l’univers mental de Mélik. Le cycle réalisé par Mélik était un hommage à Van Gogh.  Mais c’est par un article d’André Alauzen (29 octobre 1959, Le Méridional-La France) que nous pouvons deviner la signification spirituelle du tableau : « Et de provençal, il l’a naturalisé aixois, par ce numéro 4, où dans le bleu et l’ocre Mélik s’est représenté main-à-main avec Vincent. Cette grande toile est prodigieuse ». Mélik soutient Van Gogh dans un voyage d’outre-tombe, le visage qu’il lui a donné étant proche d’un autoportrait de Van Gogh.

L’importance du piano, où se voit la fusion entre musique et peinture.

Tous les formats, tous les styles avec la vie de tous les jours

                                      Mélik, La Fille de Gaïa (73 x 60 com)
                            Ce tableau est très instructif pour comprendre comment fonctionne la peinture de Mélik, au-delà de l’apparence visuelle. Son titre renvoie au mythe de Cronos (ou Saturne) dévorant ses enfants mâles. Si la tête massive est celle de Saturne (le dieu de la Mélancolie et des artistes), la femme adulte est Rhéa, la fille d’Ouranos et de Gaïa. La jeune fille blottie contre sa mère regarde son père qui dévore ses frères dès leur naissance.  Ce tableau a été exposé en Suisse, à Sierre en 1969 (53 peintres rhodaniens d’aujourd’hui, Exposition internationale). C’est par le catalogue de l’exposition que nous connaissons son titre (sans lui le tableau resterait une représentation sans charge symbolique), et c’est par cette unique photo que nous connaissons le jeu des couleurs et la texture (tableau non localisé).

               Parmi les artistes présents dans leurs ateliers dans l’exposition du Conseil général (Picasso, Matisse, Giacometti, Vieira da Silva – peintre formée comme Mélik à l’académie Ranson, etc.), Pierre Bonnard  - que Mélik nomme dans des entretiens de presse parmi ceux qui comptent pour lui (avec Derain, Matisse, Manessier, Soulages, Vlaminck) - est incontestablement un des plus touchants. Peintre parfois regardé de haut par la critique d’avant-garde des années 40, il serait important de comprendre ce que Mélik appréciait en lui (contre l’avis de Christian Zervos par exemple, dans les  Cahiers d’art de 1947). Pourquoi Bonnard dans l’univers esthétique de Mélik ?  En attendant, cette photo d’atelier le montre âgé et humble au milieu de ses dessins. 

Henri Cartier-Bresson : Pierre Bonnard assis, Le Cannet, 1944. L'une des photographies présentée sur le Cours Mirabeau, exposition L'oeuvre photographiée : les ateliers d'artiste de Picasso à Warhol, jusqu'au 21 septembre 2014.



Photo de Brassaï, mur d’atelier de P. Bonnard, nd (catalogue d’exposition)
         Cette autre photo représente l’univers esthétique de Bonnard, avec les cartes postales d’œuvres qui comptaient pour lui (Sérusier, Gauguin, Picasso, estampe japonaise, buste hellénistique, etc.). Cette pratique est bien attestée chez Gauguin parti en Polynésie avec des reproductions de bas-reliefs égyptiens dont les attitudes se retrouvent dans ses propres frises de Vahinés. Les modèles de formes circulent au gré de la quête du peintre. En était-il de même pour Mélik ou faut-il croire à une sombre solitude sur le plan artistique ? Nous savons par la Biographie de l’œuvre due à J.M. Pontier que Mélik s’est arrêté à Avignon Eté 1947 pour la grande exposition de peinture contemporaine (voir Mélik face à Picasso, sur ce blog).  Qu’il a admiré le travail de Picasso et Paul Klee !  Dans les archives du musée Mélik se trouve la carte postale suivante, percé (trace de rouille !) comme une image punaisée au mur.  Il s’agit d’une œuvre de Le Corbusier.                     


La Fondation Le Corbusier  m’a donné des informations qui intéressent  celui qui s’interroge sur les intérêts esthétiques de Mélik.  La carte postale est celle du carton d’une tapisserie (216x365 cm) jamais réalisée, « Le rideau écarté ». Le carton de même taille que la tapisserie, avec ébauche de couleur, a été montré au Palais des papes à Avignon en 1949 !  La présence de cette carte postale dans l’atelier de Mélik indique qu’il avait cette pratique de beaucoup d’autres peintres (Gauguin, Bonnard). Elle prouve aussi son intérêt plastique pour l’art en train de se faire, avec cette ligne sinueuse et simple de Le Corbusier. 
Le Corbusier, Emaux, Exposition J1, 2013, Marseille (Photo R. Mackie)


             A travers ce petit hommage à l’atelier de Mélik nous comprenons l’importance des deux catalogues de photos couleur réalisé par l’atelier professionnel Da Silva à Marseille quelques années avant la mort du peintre, studio qui fut aussi la galerie la plus fidèle à son œuvre, grâce à Lil Mariton et Fred Bahr. 

Olivier Arnaud

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