La peinture de Mélik est étrange. Pas seulement par les déformations apparentes qu'il invente pour nous dérouter, mais à cause du contenu même de l'image. Entre l'imaginaire et le réel, elle nous fait accéder à un monde spécial qui est l'expression d'expériences réelles. Le tableau suivant est porteur d'informations précises qui font souvent défaut dans l'oeuvre de Mélik. Reproduit en noir et blanc dans le livre écrit par l'écrivain surréaliste Hubert JUIN (1926-1987), EDGAR MELIK ou LA PEINTURE A LA POINTE DU TEMPS (Editions de la Mandragore, Marseille, 1953), nous en connaissons la date et le titre. Il venait de passer plusieurs semaines à Cabriès, voyant tous les jours Mélik. Le livre est très riche parce qu'il révèle comment un jeune écrivain - qui a fréquenté Paris et le milieu surréaliste, qui connait bien la peinture de Victor Brauner, de Paul Klee, d'André Masson et de Picasso - perçoit et analyse la peinture de Mélik dans cette décennie capitale des années 50.
Edgar Mélik, L'individuel transprésent, HST, 1952, 100 x 81 cm, collection particulière. |
Le tableau est extrêmement riche par ses détails mais il étonne d'abord par la compositions des couleurs et sa construction fascinante. Sur un fond bleu intense se détachent deux êtres qui dansent dans une sorte de délire mystérieux. A l'image d'un sol jaune abstrait, les corps ont tous les reflets des ocres. Le rouge sang est plutôt utilisé pour cerner les corps et pour souligner quelques objets plutôt étranges (carré-cartouche au sol, "chevelure", pièce de tissu). Mélik est sur le voie de la réduction chromatique (bleu/Jaune/rouge).
Ce couple aux corps superposés est particulièrement étrange en raison des têtes ésotériques.
La Femme fait flotter dans l'espace supérieur de la toile sa tête à "Forme d'épingle" bien identifiée dans l'histoire des avant-gardes picturales. Invention de Joan Miro (arabesques descriptives des années 1920), la forme sera reprise par Picasso (La Crucifixion, dessin, 1927), puis géographiquement à proximité de Mélik par le peintre Gabriel Laurin d'Aix (Femme assise dans un fauteuil, 1956). Mélik réutilise au moins une autre fois cette forme réduite que Picasso avait reliée dans sa sculpture aux Vénus de la préhistoire (voir sur ce blog, " Mélik, une peinture tellurique", décembre 2019, et "Femme et colossos dans l'image de Mélik", novembre 2015).
Autant le cou et sa tête d'épingle forment une solide architecture, autant la chevelure exprime une forme de délire fantaisiste et cocasse. Une sorte d'arche rouge sang disproportionnée "coiffe" cette tête et sur la droite des mèches se détachent sur le fond blanc d'un nuage...
La tête masculine est encore plus curieuse. Un grand crâne allongé de type "nubien" est pointé vers la femme à tête d'épingle. Tout est profondément mystérieuse dans cette forme osseuse. Les yeux sont plastiquement opposés comme très souvent chez Mélik (bleu clair pour l'iris avec un bleu sombre pour la pupille/ oeil blanc avec sa tache noire au centre). Des reflets jaunes soulignent l'axe vertical du crâne jusqu'à la tache rouge des lèvres. De superbes roses et gris animent la chair de ce visage d'outre-tombe.
Le plus singulier vient de la répétition du cou-triangle comme si cette tête oblongue flottait en suspension dans le vide. Les petits triangles sont disposés dans l'espace en profondeur avec leurs couleurs différentes (ocre, bleu, rose).
Mélik a donc créé une opposition plastique entre ces deux têtes dont l'une tend à l'abstraction du vide quand l'autre est devenue un crâne somptueux sur un axe démultiplié.
Les deux personnages sont jumelés dans l'espace et Mélik a multiplié les signes de leurs ondulations ésotériques. A gauche, le bras féminin arbore un tissu rouge qui flotte dans les airs. Alors que le corps est nu, la main jaune sort d'une manche et pince le tissu rouge qui virevolte en fonction de sa danse.
De l'autre côté, les bras se replient et s'épousent. La main féminine semble tenir un autre tissu rouge sang qui se confond avec ses cheveux.
Les jambes des personnages se mêlent aussi avec leurs étranges déformations. Le corps féminin semble déséquilibré et appuyé sur le corps de son "double" solidement planté sur le sol avec ses jambes robustes... devenues trois !
Si l'anatomie de ces créatures inventées par Mélik est en même temps figuratives et étranges, les éléments de cette scène ésotérique en renforcent le mystère.
Le bleu foncé du fond comme la pleine lune en font une scène nocturne. La lune est l'écho visuel de la tête en "Forme d'épingle", deux cercles blancs qui flottent dans le vide. L'être participe plastiquement de la Nature selon les vieilles correspondances du microcosme (la créature humaine) et le macrocosme (la Nature). Quelle est cette expérience humaine qui réveille l'analogie entre l'homme et la nature englobante ? (voir, "Microcosme et macrocosme entre l'académie et l'avant-garde", Gradhiva, revue du musée du quai Branly, 2011, n° 14).
L'objet le plus insolite est une élégante chaussure jaune qui est en lévitation ! Elle est parfaitement représentée en relief avec ses nuances de surface, ses lanières, ses courbes sensuelles et son talon agressif.
Le titre de l'oeuvre est très certainement de Mélik (L'individuel transprésent), et il nous plonge dans le monde fantastique des mythes et de l'imaginaire surréaliste d'André Breton. En 1944 venait de paraître Arcane 17, avec quatre dessin du peintre Roberto Matta. La poésie est vécue comme une alchimie qui transfigure l'Amour de la Femme (voir Suzanne Lamy, André Breton, Hermétisme et poésie dans ARCANE 17, 1977). Objet d'un transfert obsessionnel, la chaussure féminine devient un symbole des contes, des rêves et des fantasmes. Un révélateur de l'inconscient, et il semble bien fonctionner ainsi dans le tableau de Mélik.
Il existe plusieurs registres de peinture. Celle de Mélik ne relève pas d'une esthétique du bon goût mais de ce qu'il nommera en 1958, "la sensibilité tonique". Elle inclut "la force de déformation" qu'il fait remonter à Cézanne (entretien, Magazine régional des arts, 23 janvier 1969, Inathèque).
Sa peinture n'idéalise pas le réel, elle l'exprime dans tous ses aspects nobles et ignobles, imaginaires et affectifs. Ce que Mélik donne à voir enclenche une fascination qui réveille le Désir de l'inconscient (Eros et Thanatos).
Un écrivain comme Georges Bataille, ce surréaliste dissident (au même titre qu'Antonin Artaud ou André Masson) a bien exprimé cette réversibilité du bien et du mal, du haut et du bas dans ses analyses de la "peinture pourri" de Picasso des années 1930, celle dislocation des formes qui entraîne celle de la pensée.
"On rentre chez le marchands de tableaux comme chez un pharmacien, en quête de remèdes bien présentés pour des maladies avouables. Or, ce qu'on aime vraiment, on l'aime surtout dans la honte et je défie n'importe quel amateur de peinture d'aimer une toile autant qu'un fétichiste aime une chaussure.", La littérature et le mal, 1957 (cité par G. Didi-Huberman, La ressemblance informe ou le gai savoir visuel selon Georges Bataille, 1995, p. 340).
Les images circulent inconsciemment, et c'est bien ce qui inscrit Edgar Mélik dans les avant-gardes. A-t-il vu dans le N° 3 de la revue Le surréalisme au service de la révolution (1931) le premier objet à fonctionnement symbolique de Dali, Soulier et verre de lait ? Un mécanisme permet de dissoudre des grains de sucre sur lesquels a été peinte l'image du soulier rouge véritable qui contient un verre de lait tiède. Le fonctionnement compulsif rend compte de la force du Désir.
Évidemment, Mélik ne peint pas une scène érotique. Il en peint une "expérience intérieure" pour reprendre le titre d'un autre livre (1943) de G. Bataille qui se servait de cette expression pour désigner toutes les états extrêmes qui abolissent les limites de l'individu (l'extase, l'érotisme, l'ivresse, le sacré, le sacrifice, la tragédie, le rire, la danse, la poésie, l'art).
Dans le tableau de Mélik la position des deux "formes démentes", mi-humaines, mi-monstrueuses laisse imaginer une fusion de l'homme et de la femme, principe opposés et divisés de l'être complet. Un retour à une forme totale qui abolit la séparation dans ce que Platon appelait l'androgyne primordial (voir le mythe raconté par Aristophane dans le Banquet, Dialogue socratique consacré à l'Eros). Le titre donné par Mélik a cette peinture, L'individuel transprésent, est indicatif de ce paradoxe. Il représente bien deux êtres qui parviennent à l'unité d'un véritable individu qui naît de la conjonction de l'homme et de la femme. Cette "expérience intérieure" est bien une sortie provisoire de la prison du présent, éternelle instabilité et frustration des êtres.
Sans le vouloir Mélik réinvente une image complexe très fréquente dans les livres de la tradition alchimique dont les surréalistes, et André Breton en premier lieu, étaient friands.
Cet individu nouveau et primordial portait le nom symbolique de "Rebis hermétique " (res bina, nature double), être composé de deux têtes, l'une masculine, l'autre féminine. L'auteur qui divulgua ce savoir traditionnel, extrêmement lu dans les années 1930, était René Guénon (1886-1951). Mélik ne s'est probablement pas intéressé à ce symbolisme traditionnel, à la fois complexe et naïf (par exemple, la Lune, en forme de barque sur laquelle se tient l'Androgyne, indique que ce dernier domine les eaux inférieures caractéristiques du monde de la dualité). En tout cas, ce qu'il a écrit ne permet pas de l'affirmer. Mais toute sa pensée écrite témoigne d'un rapport imaginaire au Réel, d'une lecture de signes concrets qui font communiquer la conscience humaine avec un en-deça énigmatique. Sa peinture s'éloigne toujours de la platitude du réalisme, avec ses formes métamorphosées et ses significations imagées. Sa peitnure est "absconse" comme il aimait le dire.
Pour ce qui est de la pensée écrite d'Edgar Mélik nous avons ce texte extraordinaire publié par Hubert Juin en 1953. Son titre est "Tournant", et il remonterait à 1932, l'année où Mélik quitte sa famille et sa jeunesse parisienne pour gagner l'"Orient". Tournant, c'est aussi une métonymie pour le sens du texte, accès à une vision neuve du Réel.
"La vie telle qu'on l'entend aujourd'hui effleurant superficiellement les sens et délaissant ce qui est intérieur est bien faite pour interdire tout excès. Or, l'humain en art ne peut être que le produit d'un excès qu'auront créé un refoulement ou, au contraire, une extension inusuelle du désir.
La qualité humaine n'est que la qualité animale dans le sens le plus élevé du terme.
L'humain existe dans les choses qui touchent à la vie animale et humaine en particulier, hors de tout ce qui est luxe ou plaisir et ne satisfait que partiellement l'esprit et les sens.
Le mystique élargit le champ de l'humain, lui ôte toutes bornes - lui pour qui le luxe n'est plus, ni le plaisir.
L'humain, s'il cumule en soi toutes formes possibles de vitalité, peut n'être absolument pas voluptueux, et n'est pas le moins du monde hostile à la pureté de l'esprit - l'esprit pur ,n'étant que la quintessence de l'humain.", in Edgar Mélik ou la peinture à la pointe du temps, p. 45.
Ce qui rend ce texte extrêmement intéressant n'est pas son caractère incantatoire plus ou moins indéchiffrable. Il exprime une exaltation parfaitement claire du jeune Mélik en rupture avec le cadre rationnel et bourgeois de son époque et de sa famille. Tout le vocabulaire largement dominé par les illumination de Rimbaud et de Nietzsche se retrouve dans les textes contemporains d'Antonin Artaud, de Georges Bataille et d'André Breton. Donc, ce qui nous intéresse, c'est moins une originalité de la "pensée" de Mélik (qui de toute façon, s'est voulu Peintre, avec une majuscule !) que l'esprit d'une génération culturelle dont Mélik partagea tous les signes hiéroglyphiques, la fin de l'idéalisme et de l'anthropocentrisme rationaliste hérités de la Renaissance et des Lumières ( voir Jean Clair, Du surréalisme dans ses rapports au totalitarisme et aux tables tournantes, 2003).
Man Ray, "André Breton devant le tableau "L'énigme d'une journée", de Giorgio de Chirico", 1922 |
Sous un ciel lunaire deux corps fusionnent et Mélik traduit cette "expérience intérieure" de l'Eros charnel qui coïncide avec l'Eros céleste. Il a pu penser comme Rémy de Gourmont : "L'amour est profondément animal; c'est sa beauté". Mélik s'est toujours voulu "auteur" autant que peintre. Il a laissé plusieurs récits poético-oniriques dont Emerge qui décrit la rencontre mystérieuse de ce personnage avec la "femme des neiges" : "A la voir se mouvoir, la grande femme bombée et promener son développement physique de colosse douce dans les joncs, Emerge ralentit son allure et hennit de plaisir. C'est bien qu'elle occupe son espace territorial et le fasse avec elle se mouvoir, c'est généreux, en bonne maîtresse de ses aspirations... Il note : entre homme et femme, s'entendre dans les déchaînements physiques obligatoires et supporter entre temps." L'écriture au sens d'acte d'écrire, comme l'acte de peindre, plongent Mélik dans une vision qui abolit la sépartion entre le monde extérieur et le monde intérieur. On est dans le pur domaine des analogies incessantes entre le concret et l'imaginaire. On pense à ce paradoxe d'Henri Laborit : "L'imagination créatrice ne crée rien; elle se contente de découvrir des relations dont l'homme n'avait pas encore conscience." (L'homme imaginant, 1970). Cette approche permet de mettre fin à la confusion de l'imaginaire poétique avec l'irréel. D'où la réalité du surréel. " André Breton possède cette conviction depuis longtemps et on se rend compte du regard lucide qu'il porte sur sa propre production et celle de tout artiste : "L'effort humain, qui tend à varier sans cesse la disposition d'éléments existants, ne peut être appliqué à produire un seul élément nouveau. Un paysage où rien n'entre de terrestre n'est pas à la portée de notre imagination." , in Les pas perdus, 1924 (cité par Suzanne Lamy, op. cit., p. 170). De même, face aux Paysages fabuleux de Yves Tanguy, André Breton écrit : "Ce peintre n'en est pas à déplorer la présence nécessaire, dans un tableau, de ces éléments plus ou moins "directs" grâce auxquels d'autres éléments prennent toute leur signification occulte. Il leur accorde sans doute une valeur de comparaison... Ce contact, qu'il se garderait de perdre, lui permet de s'aventurer aussi loin qu'il veut et de nous livrer de l'inconnu des images aussi concrètes que celles que nous nous passons du connu.", André Breton, Le surréalisme et la peinture, 1928.
Dans son tableau alchimique, "L'individuel transprésent", Mélik récuse la dualité de l'esprit et du corps, ou plutôt il en cherche les correspondances mystérieuses selon ce qu'André Breton avait appelé dans Le Second Manifeste du surréalisme (1930) , "le point suprême" : " Tout porte à croire qu'il existe un certain point de l'esprit d'où la vie et la mort, le réel et l'imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l'incommunicable, le haut et le bas cessent d'être perçus contradictoirement."
Amateur éclairé et incrédule de la littérature hermétique André Breton actualise ainsi la fameuse formule des correspondances entre le microcosme (l'homme) et le macrocosme (la Nature) qui se trouve dans la Table d' émeraude : « Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas ».
En 1932 Mélik traduit le même désir de dépassement de la dualité, la quête d'un état passager mais transprésent où s'aboliraient la dualité meurtrie des êtres, la fuite du présent, l'opposition apparente de l'esprit et du corps. Il utilise le terme "mystique" pour désigner ce point sublime, à l'instar d'Antonin Artaud.
Mélik invente de manière troublante et inconsciente une image actualisée du "Rebis hermétique".
Le hiéroglyphe le plus étrange dans le tableau de Mélik n'est pas immédiatement le plus visible même s'il est très visuel ! Il y a l'abolition structurale du visage féminin qui prend la forme d'une architecture abstraite. Mais, plus bas, dans ces seins et ce ventre qui dansent on ne peut que voir un vrai visage, un autre du visage qui nous regarde.
Un corps féminin qui "perd" son visage pour en faire apparaître un nouveau, à la fois cocasse et étrange, est un trait culturel bien attesté dans la littérature grecque sous le nom de Baubo. Cette servante de Déméter qui pleurait la perte de sa fille Perséphone, eut l'idée de soulever sa jupe pour exhiber son propre sexe. Ce geste insolite et burlesque provoqua le rire de Déméter, et son désir de vivre. Les représentations de ce geste sont innombrables, et les plus connues sont de petites statuettes qui appartenaient au temple de Déméter à Priène en Asie mineure.
A travers le monde, de nombreuses cultures exhibent ce symbole qui traduit la non-séparation entre vitalité et spiritualité, entre le corps et l'esprit. L'ethnopsychanalyste Georges Devereux a consacré un livre à ce récit mythique et à ses significations pour l'inconscient (voir Baubo, la vulve mythique, Payot, 2011). Il est assez fascinant de voir Edgar Mélik réinventer spontanément cette défiguration/figuration liée à la sexualité. L'origine égyptienne de ce récit reste incertaine, mais G. Devereux remarque que sa découverte d'un mythe très semblable au Japon prouve que ce genre d'images n'est pas toujours un trait culturel transmis d'une civilisation à l'autre. "Souvent il s'agit d'un produit fantasmatique de l'inconscient , susceptible d'être transformé en trait culturel si la structure et la thématique d'une culture donnée s'y prêtent." (idem., p. 81).
Les images circulent mais l'inconscient d'Edgar Mélik s'exprime accidentellement par "symptômes" qui altèrent les formes les plus attendues selon un processus de "formes déformantes". D'autres artistes ont inventé des images, sans connaître le mythe de Baubo ! Parfois des formes inversée, comme chez René Magritte où le visage devient un corps sexué sans visage.Ici l'image obéit à un symbolisme cruel mais conventionnel.
R. Magritte, Le viol, HST, 1934 |
Plus intéressant pour les correspondances entre Mélik et l'imaginaire des avant-gardes culturelles est cette image-éponyme du film expérimental réalisé par Germaine Dulac à partir du scénario d'Antonin Artaud, La Coquille et le Clergyman (1928).
Mélik fréquentait les cinémas d'arts et essais de Montparnasse, et plusieurs de ses tableaux (Jeanne d'Arc, Jean Mermoz, les Visiteurs du soir) s'inspirent de films qu'il a vus à leur sortie. Il faut peut-être regarder la peinture de Mélik à la manière dont Antonin Artaud rêva le cinéma : "Il ne veut pas considérer son film comme un "récit" de rêve. Il cherche à dégager une sorte de logique et de rythme propre au monde des images. De celui-ci il ne retient, en dehors de toute narration ou de toute psychologie, que sa seule dimension plastique. Il refuse la dénomination de "film pur" ou abstrait. Il est partisan d'une troisième voie qui est celle d'une logique des images, celles-ci (qu'elles soient figuratives ou abstraites) s'engendrant, se déformant, se combinant; concept très bergsonien du cinéma. Celle d'un vivant qui mue, se transforme.", Florence de Méredieu, C'était ANTONIN ARTAUD, Fayard, 2006, p. 370. Mélik écrira en 1958 que depuis trente ans il cherche "une mise au point de la spiritualité plastique " ? (TEXTES, archives du musée Edgar Mélik, Cabriès).
Ce tableau de Mélik, L'individuel transprésent (1952) est fascinant par sa complexité colorée et le fonctionnement de ses symboles qui plongent leurs racines dans le monde des avant-gardes et des expériences humaines de l'Eros. Peintre pudique mais non puritain, Mélik voile et dévoile par la même image les résonances de son existence. Il refuse la dualité et cherche dans le dynamisme des couleurs et des formes déformantes une expression unifiée des plans physiques et psychiques de l'expérience humaine de l'Eros. Mais l'analyse d'un tableau aussi mystérieux n'a qu'un but, le rendre plus fascinant pour qu'en le regardant, il nous dévisage et nous déstabilise.
"Nous savons désormais trop bien certaines choses, nous autres hommes conscients; ô comme nous apprenons bien désormais à oublier, à bien ne-pas-savoir, en tant qu'artistes ! ... Avis aux philosophes ! On devrait mieux honorer la pudeur avec laquelle la nature se dissimule derrière des énigmes et des incertitudes bigarrées. Peut-être son nom, pour parler grec, serait-il Baubo ?", Nietzsche, Le gai savoir, Préface, 1886.
Olivier ARNAUD, secrétaire de l'association des Amis du musée Edgar Mélik
Félicitation (à nouveau) pour ce brillantissime article. Ce tableau est éclairé d'une lumière savante qui le rattache au contexte global de son époque et le rend intemporel. Merci
RépondreSupprimerPierre, merci pour ta lecture toujours curieuse de ce travail qui tente, non pas d'interpréter le sens d'un tableau, mais de comprendre ce que Mélik avait dans la tête en fonction des idées et des images qui circulaient autour de lui; ses propres textes ou notes ou aphorismes prouvent qu'il était parfaitement le "fils de son temps", et tant mieux. L'alchimie n'était pas vue, par les esprits curieux des années 1930, comme un savoir démodé. Outre René Guénon (lu par André Breton et tant d'autres), il y avait le docteur René Allendy qui soigna Antonin Artaud à Paris, et qui était féru de ce savoir "en images". Un article d'A. Artaud a justement pour titre "Le théâtre alchimique"(1932). Il y a aussi le Docteur Pierre Mabille, grand ami d'André Breton, et passionné par le savoir non-rationnel de l'imaginaire (voir son Miroir du merveilleux, 1940).
RépondreSupprimerLa peinture de Mélik reste étrange mais elle se trouve en écho avec sa personnalité et le monde qui était le sien, celui qu'il avait choisi dans son époque foisonnante.
olivier