Mélik, Mère
et fille jouant, 78 x 62 cm, collection particulière
Ce tableau de grand format est particulièrement singulier par son sujet et sa
réalisation picturale. Les deux figures occupent tout l’espace sur un fond où
domine un bleu très lumineux. A droite une femme est assise. Elle tient entre
ses jambes une enfant debout, qu’elle tient délicatement avec ses mains posées
sur ses hanches. Sans vêtements, leur peau où domine le blanc est ombrée par
des reflets ocre. Les seins de la femme sont saillants et triangulaires. Son
bassin et ses jambes repliées forment un grand triangle, dont l’ombre est un
autre triangle gris bleu. Les contours des corps sont subtilement soulignés par
des traits orange, rouge et ocre, traits plus ou moins épais selon l’idée de
volume à suggérer. Les visages sont représentés avec beaucoup de complexité.
Celui de la jeune fille est presque un cercle, l’arête blanche du nez est
saillante grâce à un jeu d’ombres brunes qui creusent les orbites des yeux. Son
regard, tourné vers sa
« mère », est l’expression de
deux cercles parfaits et bleus. Sa bouche est réduite à un trait pour les
lèvres. Son grand front est convexe, et ses cheveux roux effleurent son dos. Le
visage de la mère est tout en douceur. C’est un ovale où la pointe du menton
est relevée comme pour laisser place au geste de cette enfant qui se tient
contre elle, à sa hauteur. Le bras au premier plan est géométrisé (cylindres et
angle droit du coude). Le nez fin est marqué par une ligne qui est aussi celle
des sourcils. Les yeux, très étirés en
amande, sont dessinés par une ligne très
fine. Elle regarde l’enfant, et l’extérieur de l’image. Sa bouche est un
triangle rouge parce qu’elle sourit. Comme son enfant, ses cheveux sont roux,
ils cernent son grand front. Comme elle vient de tourner son visage vers nous,
une mèche de cheveux flotte encore dans l’espace. Entre les deux visages, c’est
le geste de l’enfant qui fait le lien. Sa main,
dont le pouce arrondi découpe un ovale bleu, laisse tomber une pluie de « pétales »
blancs. Le poignet, la main, le bras long et fragile, tout indique que
Mélik a voulu donner de la grâce
naturelle à ce geste.
L’expressivité des visages, le caractère à la fois naturel et énigmatique
de la scène, donnent à l’image une grande intensité de rayonnement. Le fond
complexe ne fait que renforcer ce sentiment d’expansion de l’image. L’outremer domine
dans le haut du tableau, avec des incrustations de formes colorées, et à
droite, sur l’horizon, deux silhouettes minuscules mais nettement humaines. Le
« sol » est une mosaïque de larges espaces colorés, avec des tons improbables de vert, des bleus et
des ocres. Un étrange objet compartimenté (un fruit symbolique ?) se
trouve au pied de la mère.
La complexité des formes
et des couleurs, avec des visages schématisés (cercle/ovale) fait de cette
image une transposition savante dont la signification profonde nous échappe. La
composition des corps, leurs rapports multiples dans l’espace, la planéité de
l’image, la sensation des mouvements, le modelé très faible des visages dû
uniquement aux jeux des ombres, la simplification des surfaces, tous ces
éléments créent une intense « spiritualité
plastique », selon l’expression de Mélik lui-même (Texte d’une
conférence pour la radio, 1958, Archives, Musée Mélik, Cabriès). Cette scène
profondément humaine prend un caractère presque religieux.
Ce tableau, assez unique par
sa facture, fait penser aux « Madones »
que Mélik a admirées et dont il avait fait des copies à Florence (voyage fin
1934, voir J.M. Pontier, Biographie,
p. 21). Dans le portrait ci-dessous, bien
antérieur, on retrouve la
simplification des traits, la ligne franche du menton, les cheveux roux, et
surtout les yeux étirés caractéristiques du gothique siennois.
Mélik, « Madone », 1935, 54 x 44 cm,
collection particulière Détail
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